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Maroc : 38 800 immeubles menacés d'effondrement, une bombe à retardement urbaine

Le drame survenu à Fès dans la nuit du 9 au 10 décembre, qui a coûté la vie à 22 personnes, remet en lumière une réalité alarmante : le Maroc compte officiellement 38 800 immeubles menacés d'effondrement sur l'ensemble de son territoire. Un chiffre qui témoigne de l'ampleur d'une crise urbaine aux racines profondes.

Un fléau apparu dans les années 80

Le phénomène des constructions menaçant ruine au Maroc est apparu vers la fin des années 80 et n'a cessé de prendre de l'ampleur, causant régulièrement des tragédies. En 2023, les autorités marocaines avaient recensé 75 600 logements menacés de ruine, dont plus de 18 000 avaient été traités dans le cadre des programmes de mise en sécurité.

Les causes sont multiples et bien identifiées. D'abord, la pression démographique : dans les grandes villes marocaines, la demande de logement est énorme et les familles cherchent à agrandir leur habitation. Ensuite, la faiblesse des contrôles. Ajouter un ou deux étages « en douce » est malheureusement une pratique courante. Les autorisations sont longues et coûteuses, alors beaucoup préfèrent construire d'abord et régulariser ensuite – ou jamais.

Enfin, la corruption locale et le manque de moyens des services d'urbanisme complètent ce tableau. Dans un quartier où seuls deux étages sont autorisés, il n'est pas rare de voir des immeubles de quatre ou cinq niveaux surgir en quelques mois.

Fès : une tragédie annoncée

Dans la nuit du 9 au 10 décembre 2025, deux immeubles contigus de quatre étages se sont effondrés dans le quartier Al Moustakbal, situé dans la zone Al Massira de Fès. Le bilan est terrible : 22 morts, dont des femmes et des enfants, et 16 blessés. Une fête d'aqiqa – cette tradition musulmane célébrant l'arrivée d'un nouveau-né – battait son plein dans l'un des bâtiments au moment du drame.

L'ironie tragique de cette catastrophe réside dans l'histoire même du quartier. Al Moustakbal a été construit entre 2006 et 2007 dans le cadre du programme « Fès, ville sans bidonvilles ». Les habitants, issus du douar Ain Smen et des bidonvilles de Laâzim, avaient bénéficié de parcelles pour édifier leurs logements. Mais sans respecter les règles d'urbanisme, beaucoup ont construit bien au-delà des deux étages autorisés.

Ce n'est pas le premier drame à Fès. En mai dernier, un immeuble qui figurait sur la liste des bâtiments fragiles et faisait l'objet d'un ordre d'évacuation s'est écroulé, causant la mort de neuf personnes. En février 2024, cinq personnes avaient péri dans l'effondrement d'une maison dans la vieille ville.

Casablanca 2014 : le précédent meurtrier

Le drame le plus meurtrier de l'histoire récente du Maroc remonte à juillet 2014, lorsque trois immeubles se sont effondrés à Casablanca, faisant 23 morts. L'enquête avait révélé des « travaux anarchiques » dans les étages inférieurs et un manque d'entretien chronique. Plusieurs personnes, dont un moqaddem, des techniciens municipaux et un ingénieur d'État, avaient été condamnés pour « homicide involontaire », « non-respect des lois sur la construction », « corruption » et « falsification de documents administratifs ».

En 2016, en l'espace d'une semaine, deux enfants avaient péri dans l'effondrement d'une maison à Marrakech tandis qu'à Casablanca, un immeuble de quatre étages s'écroulait, faisant quatre morts et 24 blessés.

Les médinas, patrimoine en péril

La situation est particulièrement critique dans les anciennes médinas du royaume. À Fès, le nombre de bâtiments menaçant ruine est estimé à plus de 4 000 unités, dont près de 1 900 sont qualifiées de « premier degré » – pouvant céder à n'importe quel moment. Les secteurs de Batha, Bouananiya, Lablida et Lamteyine font l'objet d'un plan de mise à niveau financé à hauteur de 14,9 millions de dirhams.

Entre 2014 et 2024, plus de 6 milliards de dirhams ont été alloués à la réhabilitation des anciennes médinas. Le programme a bénéficié à 21 médinas, pour un coût global de 7,9 milliards de dirhams. Casablanca, Rabat, Salé, Essaouira, Tétouan, Marrakech, Fès et Meknès sont concernées, avec l'objectif d'étendre ces interventions à El Jadida et Safi.

Une loi et une agence dédiées

Pour faire face à ce fléau, le Maroc s'est doté d'un cadre juridique avec la promulgation de la loi 12-94 relative à « l'habitat menaçant ruine et à l'organisation des opérations de rénovation urbaine ». Cette loi a permis la création de l'Agence Nationale de Rénovation Urbaine et de Réhabilitation des Bâtiments Menaçant Ruine.

Grâce à un système informatique dédié, l'agence a recensé plus de 57 000 habitations menaçant ruine en 2023 et procédé à des expertises techniques pour plus de 47 000 bâtiments privés dans les anciennes médinas du royaume.

Les recommandations du CNDH

Suite au drame de Fès, le Conseil National des Droits de l'Homme (CNDH) a réclamé des mesures urgentes. L'instance rappelle les recommandations issues de l'Examen périodique universel et appelle le Maroc à accélérer la résorption de l'habitat insalubre, renforcer la régulation urbanistique et protéger les populations vulnérables.

Le CNDH recommande notamment d'accélérer les programmes de réhabilitation des quartiers dégradés, de respecter strictement les normes de sécurité lors des rénovations ou démolitions, et d'adopter un plan national durable pour le relogement des familles vivant dans des bâtiments menaçant ruine.

Face à cette urgence, les autorités marocaines se trouvent confrontées à un dilemme : comment concilier la préservation du patrimoine architectural, les contraintes budgétaires et la mise en sécurité de dizaines de milliers de familles ? Une équation complexe dont la résolution ne peut plus attendre.

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