José « Pepe » Mujica est parti : une vie pour l’Uruguay, une leçon pour le monde

José « Pepe » Mujica est parti : une vie pour l’Uruguay, une leçon pour le monde

José "Pepe" Mujica s’est éteint à 89 ans, ce mardi, laissant derrière lui bien plus qu’une image de président atypique. Figure emblématique de la gauche latino-américaine, il restera dans les mémoires comme un chef d’État profondément humain, sincèrement engagé contre la pauvreté, et porteur d’un projet de société moderne, équitable et pragmatique. Mais trop souvent, les médias internationaux ont préféré retenir la silhouette du « président pauvre », en sandales, conduisant sa vieille Volkswagen Coccinelle, plutôt que le bâtisseur d’un Uruguay prospère, équitable et démocratique.

Car Mujica, loin de se limiter à incarner une curiosité politique ou un folklore anti-système, a mené l’un des mandats les plus efficaces de l’histoire contemporaine de l’Amérique latine. Son quinquennat, de 2010 à 2015, a démontré avec éclat qu’il est possible pour un pays du Sud, souvent pris en étau entre les dogmes néolibéraux et les tentations autoritaires, de tracer une voie originale : celle d’un progrès fondé sur la justice sociale, sans renier l’ouverture économique.

Arrêté, torturé, emprisonné pendant 13 longues années

Né en 1935 à Montevideo, issu d’un milieu modeste, Mujica s’engage jeune dans le mouvement des Tupamaros, une guérilla urbaine marxiste inspirée de la révolution cubaine. Dans les années 1970, la répression s’intensifie : Mujica est arrêté, torturé, emprisonné pendant 13 longues années, dont neuf en isolement quasi total. Ces années de détention auraient pu briser un homme ; elles ont forgé un dirigeant résilient et lucide, qui renoncera à la violence, mais jamais à ses idéaux.

À la chute de la dictature en 1985, il s’engage dans la voie démocratique. Député, sénateur, puis ministre de l’Agriculture, Mujica impose un style direct, parfois brut, toujours honnête. En 2009, il est élu président avec plus de 54 % des voix, à la tête d’une coalition de gauche, le Frente Amplio.

La pauvreté chute de 40%, les dépenses sociales augmentent de 50%

Son mandat, de 2010 à 2015, est un modèle de gouvernance équilibrée. Loin des caricatures, Mujica mène une politique économique pragmatique. Il réduit les barrières protectionnistes, attire les capitaux étrangers, modernise les infrastructures. Le taux de chômage reste stable autour de 6 %, tandis que les salaires augmentent sensiblement. Le salaire minimum est multiplié par 2,5. La pauvreté chute de 30 % en une décennie, et les inégalités atteignent leur plus bas niveau historique. L’introduction d’un impôt sur le revenu et l’augmentation de près de 50 % des dépenses sociales permettent de financer des avancées majeures en matière de santé et d’éducation.

Et pourtant, ces réussites restent peu médiatisées à l’étranger. On parle davantage de son refus de résider au palais présidentiel, de sa petite maison de campagne de 50 m², de ses habits sans cravate et de son humour désarmant. Mais Mujica n’a jamais joué un rôle : il a vécu selon ses convictions, refusant les symboles du pouvoir pour mieux s’en affranchir. Il ne gardait que 10 % de son salaire, reversant le reste à des œuvres sociales. À ceux qui le qualifiaient de "pauvre", il répondait : "Je ne suis pas pauvre, je suis sobre. Pauvre est celui qui a besoin de beaucoup pour vivre."

Mais c’est aussi dans le domaine des droits sociaux que son empreinte est indélébile. En 2012, l’Uruguay légalise l’avortement, devenant l’un des rares pays d’Amérique latine à le faire. En 2013, le pays autorise le mariage pour tous, puis adopte une réforme inédite : la légalisation et l’encadrement de la production et de la vente de cannabis. Une première mondiale, pensée non comme une provocation, mais comme une réponse rationnelle à l’échec des politiques prohibitionnistes.

Une gauche de terrain et non de posture

Mujica n’a jamais cédé à l’utopie facile, ni au populisme. Il croyait en une gauche de terrain, non de posture. "La radicalité, ce n’est pas le discours, c’est la capacité à changer la réalité", disait-il. Son style direct, sa parole libre, sa capacité à parler aux plus modestes comme aux chefs d’entreprise, ont fait de lui un dirigeant profondément respecté, au-delà des clivages.

Trop souvent, les chefs d’État du monde entier préfèrent la communication à la conviction, le symbole à l’action. Mujica, lui, aura prouvé qu’on peut gouverner un pays avec honnêteté, sobriété et efficacité. Il a montré que la lutte contre la pauvreté n’est pas incompatible avec la croissance, qu’un État peut être à la fois moderne, ouvert sur le monde et attentif à la justice sociale.

Son message, aujourd’hui, résonne plus que jamais. Dans un monde fracturé, où la confiance envers les institutions s’érode, l’exemple de Mujica rappelle qu’un autre leadership est possible. Un leadership fait de cohérence, de modestie et de dévouement à l’intérêt général.

José Mujica fut bien plus qu’un "président pauvre" : il fut un président juste. Un homme qui a su incarner, par sa vie et son action, l’idée qu’un autre monde est possible – pas demain, pas dans les livres, mais ici et maintenant, avec volonté, pragmatisme et humanité.

Pepe est mort. Mais son héritage, lui, vivra longtemps. En Uruguay, en Amérique latine, et bien au-delà.