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Un radeau de misère face au paquebot du luxe : le sauvetage qui accuse l'Europe

Ils étaient une dizaine, entassés dans une embarcation de fortune, à dériver depuis des jours. Deux enfants parmi eux. Leurs visages brûlés par le sel, leurs lèvres fendues par la soif. Venus du Maghreb, ils tentaient de rejoindre l’Espagne quand un paquebot de croisière, le MSC Splendida, les a repérés au large de Majorque. Un miracle, dans une mer qui n’en accorde presque plus. Sauver des vies n’était pas prévu au programme de cette croisière luxueuse. Pourtant, entre buffets et jacuzzis, ce jour-là, le vrai visage de la Méditerranée s’est imposé aux touristes : celui de la détresse, du désespoir et du silence européen.

Ces dix rescapés doivent leur survie au hasard, pas à une politique de secours. L’Union européenne, elle, a tourné le dos depuis longtemps. Elle a choisi de s’en laver les mains en confiant à d’autres -Libye, Tunisie, Égypte- la sale besogne d’endiguer les « flux migratoires ». Ce mot technocratique, froid, qui efface la chair, les noms et les histoires. En échange de millions d’euros, ces régimes jouent les gardiens de l’Europe forteresse, bloquent les départs, enferment les survivants, refoulent les désespérés. L’hypocrisie est totale : Bruxelles délègue la répression et prétend défendre les droits humains.

Des milices armées financées par l'Europe

Les ONG dénoncent depuis des années ce système inhumain. Amnesty International, Médecins sans Frontières, Sea-Watch, Alarm Phone- tous racontent la même horreur : celle des migrants interceptés en mer, renvoyés vers des camps d’internement où sévissent la torture, le viol, la faim et les extorsions. En Libye, des milices armées, financées par des fonds européens, gèrent ces prisons informelles. En Tunisie, des migrants sont arrêtés, battus, puis abandonnés dans le désert, aux portes du Sahara. Et pendant ce temps, les chancelleries européennes signent de nouveaux accords avec ces partenaires « fiables ».

Il faut le dire clairement : l’Union européenne achète sa tranquillité au prix du sang. Elle transforme les pays du Maghreb en sous-traitants de sa politique de fermeture. Elle les paie pour qu’ils fassent ce qu’elle n’ose plus assumer publiquement : intercepter, enfermer, refouler. Les gouvernements, eux, y trouvent leur compte. En échange de cette coopération docile, ils encaissent les fonds, se parent d’une respectabilité diplomatique et étouffent la critique interne. La misère devient une monnaie d’échange, la souffrance un business.

Les migrants de Majorque, eux, ont échappé de peu à cet engrenage. S’ils avaient été interceptés plus au sud, ils auraient été renvoyés vers la Libye ou vers Sfax, enfermés, battus, humiliés. Leur sauvetage tient du miracle. Dix vies repêchées sur des milliers englouties : voilà le bilan de la Méditerranée 2025. Plus de 2 500 morts depuis janvier, selon l’OIM. Des familles entières disparaissent sans laisser de trace, avalées par une mer transformée en frontière liquide, où l’on meurt dans l’indifférence générale.

Laisser mourir plutôt que d'accueillir 

Cette indifférence, c’est la vraie politique migratoire européenne. Laisser mourir plutôt qu’accueillir. Dissuader par la peur, effacer les naufrages du champ médiatique, criminaliser les ONG de sauvetage. Pendant que les dirigeants se félicitent d’avoir « réduit les arrivées », les garde-côtes libyens tirent sur les embarcations et les naufragés se noient en silence. Et quand un paquebot repêche dix survivants, on parle d’« opération humanitaire », comme si l’humanité était devenue un accident.

La Méditerranée n’est pas un drame naturel, c’est un crime politique. Ce sont des décisions signées dans les bureaux de Bruxelles et de Rome qui condamnent chaque jour des hommes, des femmes, des enfants à l’abandon. Et ces accords avec des régimes autoritaires, que l’Europe prétend combattre ailleurs, en sont la signature morale la plus honteuse.

Les rescapés de Majorque sont les témoins d’une hypocrisie sans bornes. Ils rappellent que les frontières tuent, que l’Europe forteresse n’a plus de boussole, et que ceux qui ferment les yeux sont complices. Tant que les politiques migratoires seront dictées par la peur, tant que l’accueil sera remplacé par la délégation, tant que l’argent primera sur la vie, les paquebots croiseront encore des radeaux de misère sur la mer bleue des vacances.

Et l’Europe, tranquille, comptera ses morts par procuration.

 

 

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