Le Maroc officiel rêve, la jeunesse s’effondre
Il aura fallu des mois de colère et de cris d’alarme pour que le roi Mohammed VI semble enfin réagir. Le Conseil des ministres tenu à Rabat, dimanche, a voulu donner l’image d’un État maître de ses priorités, sûr de sa stratégie et confiant dans l’avenir. Mais sous le vernis des chiffres et des promesses, c’est un Maroc exsangue qui gronde, un pays traversé par une détresse sociale profonde que ni les réformes « structurelles » ni les discours triomphants ne parviennent à apaiser.
Les décisions annoncées pour le projet de loi de finances 2026 se veulent ambitieuses : croissance prévue à 4,8 %, inflation contenue à 1,1 %, déficit budgétaire maîtrisé à 3,5 % du PIB. Des chiffres qui feraient rêver n’importe quel gouvernement. Mais pour la génération Z marocaine, ces projections relèvent du mirage. Dans les quartiers populaires, les jeunes parlent d’un pays « bloqué », d’une vie suspendue entre chômage chronique, précarité sanitaire et absence totale de perspectives. La crise sociale, criante, est pourtant absente du communiqué royal.
Investissements de prestige
Le Palais promet la « généralisation de la protection sociale » et « l’extension des aides directes à quatre millions de familles ». Or, ces programmes, souvent retardés, peinent à atteindre ceux qu’ils prétendent sauver. Les allocations tardent, les infrastructures médicales s’effondrent, les écoles rurales manquent de professeurs et d’électricité. Pendant ce temps, les investissements de prestige -zones industrielles high-tech, hydrogène vert, mégaprojets touristiques -accaparent les budgets et les discours. Les autorités marocaines s’enorgueillissent d’attirer les capitaux étrangers mais oublient l’essentiel : nourrir, soigner et éduquer leur peuple.
Le contraste entre la communication gouvernementale et la réalité du terrain est abyssal. Les jeunes Marocains, qui avaient cru aux promesses de « l’État social », se sentent trahis. Beaucoup vivent dans la peur d’un avenir confisqué. Les hôpitaux débordent, les loyers flambent, les denrées de base augmentent. À Tanger, Agadir ou Oujda, la « révolte silencieuse » se propage, notamment sur les réseaux sociaux, où les vidéos de détresse s’accumulent : étudiants sans bourses, diplômés sans emploi, malades sans soins. Une génération sacrifiée, que le pouvoir préfère ignorer plutôt que d’écouter.
Une fracture sociale historique
Le roi Mohammed VI, en présidant ce Conseil, cherche à donner l’impulsion d’un État qui se veut « réactif ». Mais il ne peut dissimuler la léthargie d’un gouvernement incapable de penser autrement que par la croissance macroéconomique. La rhétorique de la modernisation -hydrogène vert, régionalisation avancée, réforme budgétaire -sonne creux face à l’urgence sociale. Ce ne sont pas les grands chantiers mais les petites vies qu’il faut sauver.
Le Maroc traverse aujourd’hui une fracture historique : d’un côté, une élite politique et économique qui se félicite de sa « résilience » ; de l’autre, des millions de citoyens relégués au silence, au chômage, à la colère. Tant que le pays continuera de miser sur la vitrine plutôt que sur la dignité, la révolte des jeunes ne cessera de gronder. Elle n’est plus virtuelle : elle s’enracine dans chaque foyer abandonné, chaque école délabrée, chaque hôpital déserté.
Sous les lambris du Palais royal, le Maroc officiel rêve d’un futur radieux. Mais dehors, le Maroc réel implore qu’on lui rende simplement le droit de vivre.
Photo: Archives (DR)