France : sept minutes pour voler la République : le casse du Louvre qui ridiculise l’État
Sept minutes. Il n’aura fallu que sept minutes à une bande de professionnels, montés sur un banal camion de déménagement, pour s’introduire dimanche matin dans le musée le plus célèbre du monde, forcer la Galerie d’Apollon et s’emparer de neuf pièces de joaillerie royale. Sept minutes pour humilier la France entière, pour renvoyer au monde l’image d’un pays incapable de protéger ses trésors -ni, peut-être, ses symboles.
Les faits sont simples, glaçants : entre 9 h 30 et 9 h 40, en plein cœur de Paris, sous les yeux des premiers visiteurs, les voleurs ont dérobé des bijoux du XIXᵉ siècle -colliers, diadèmes et couronnes ayant appartenu à Eugénie, Marie-Louise et Marie-Amélie. Un butin d’une valeur inestimable, impossible à écouler sans démontage, mais d’un poids politique considérable. Car au-delà de la vitrine brisée et de la couronne cabossée, c’est la République qu’on a dépouillée.
Une humiliation nationale
L’affaire a sidéré les Français. Comment le Louvre, forteresse supposée, siège de la Joconde et fierté nationale, a-t-il pu être ainsi pris pour cible ? Dans un pays où l’on déploie des brigades entières pour sécuriser les sommets du G7, on découvre avec stupéfaction que les musées ne sont pas mieux protégés que des bijouteries de quartier. La stupeur a rapidement viré à la colère. À l’Assemblée, les oppositions parlent d’« humiliation nationale », d’« effondrement de l’État ». Même à droite, certains députés macronistes évoquent « un fiasco sécuritaire total ».
Le casse du Louvre tombe à un moment critique : la France s’enlise dans les débats budgétaires, l’exécutif vacille sous les coups d’une inflation persistante et d’une impopularité record. En une matinée, la disparition de quelques bijoux relègue au second plan les questions sociales, économiques et diplomatiques. L’opinion, fascinée par le spectaculaire, se détourne du quotidien. Le pouvoir, lui, respire -ou feint de le faire.
Rachida Dati, au premier rang du désastre
Difficile, pourtant, pour la ministre de la Culture, Rachida Dati, d’échapper à la tourmente. Sitôt l’émotion retombée, les regards se sont tournés vers elle. Elle dégaine vite : « On a mis la poussière sous le tapis pendant des années. » Manière habile de renvoyer la faute à ses prédécesseurs. Mais au Louvre, les syndicats dénoncent. Ils rappellent les alertes répétées, les manques de moyens, les dispositifs de sécurité obsolètes. « Nous réclamons depuis des années un renforcement des équipes et des systèmes, mais nos revendications ont été ignorées », dénonce un représentant du personnel.
Sous ses airs offensifs, Dati sait que ce vol la fragilise. Car le Louvre, ce n’est pas seulement un musée : c’est le cœur battant du prestige français, la vitrine du ministère qu’elle incarne. Or voir s’échapper, en plein jour, des joyaux impériaux depuis la Galerie d’Apollon, c’est comme si un drapeau tricolore s’était décroché du fronton de la République.
La poussière, les caméras et le monte-meubles
Le scénario du vol confine à la farce s’il n’était tragique. Les malfaiteurs arrivent en camion, installent un monte-meubles, grimpent jusqu’à une fenêtre du premier étage, découpent la vitre, fracturent les vitrines, et repartent en laissant une couronne au sol. Sept minutes de ballet minutieux, filmées par des visiteurs médusés et diffusées sur les chaînes d’info en continu. « On a raté », reconnaît sobrement le ministre de l’Intérieur, Laurent Nunez. Un euphémisme. En vérité, l’État s’est fait voler sous ses yeux, en plein Paris, un dimanche matin.
Car rien ne va plus dans la protection du patrimoine. Ces derniers mois déjà, des pièces d’or avaient disparu du Muséum national d’Histoire naturelle, un vase du musée de Limoges, des artefacts d’un château de province. Partout, la même désinvolture budgétaire : effectifs réduits, caméras défectueuses, systèmes d’alarme vieillissants. On prétend défendre la « grandeur culturelle de la France », mais on laisse ses musées à la merci de monte-meubles de chantier.
Récupérations et déni
À l’extrême droite, Jordan Bardella s’empare du scandale pour fustiger « la décomposition de l’État ». À gauche, on raille « un gouvernement qui protège les riches, pas les reliques ». Sur les plateaux télé, chacun y va de sa métaphore : casse du siècle, casse de prestige, casse politique. L’Élysée tente de calmer le jeu : Emmanuel Macron promet que « tout » sera fait pour retrouver les coupables. Une promesse qui résonne comme un aveu d’impuissance.
Mais ce vol, d’une audace presque cinématographique, agit comme un révélateur. Il met à nu un pays épuisé, où l’on rogne sur tout, même sur la mémoire. Les musées, pourtant gardiens du lien national, se débattent entre sous-financement et désintérêt. Et lorsqu’un casse vient ridiculiser leur vigilance, on feint la surprise.
Un miroir brisé de la République
Au fond, ce qui s’est joué dimanche matin n’est pas qu’un vol spectaculaire : c’est un symbole qui s’effondre. Le Louvre, temple de la beauté, sanctuaire de la République, s’est trouvé nu, vulnérable, profané. Les voleurs ont pris des diadèmes, mais c’est un miroir qu’ils ont brisé -celui d’une France sûre d’elle, protectrice de son histoire, gardienne de ses trésors.
Sept minutes de silence, sept minutes de vol, sept minutes pour rappeler que la culture, sans moyens, devient une vitrine creuse. Et que lorsqu’on la laisse sans surveillance, ce n’est pas seulement l’or des couronnes qu’on perd, mais l’éclat même de la République.
Photo: (DR)