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L'Espagne, une voix méditerranéenne qui détonne

Dans une tribune parue dans le Daily News Egypt, l’universitaire et écrivaine Dr. Marwa El-Shinawy salue la position singulière de l’Espagne face au drame de Gaza, qu’elle décrit comme « une voix distincte dans le dialogue méditerranéen ».

À l’heure où les grandes capitales européennes s’enferment dans un mutisme complice, Madrid a choisi la clarté morale plutôt que la prudence diplomatique. Ce choix, souligne-t-elle, n’est pas une posture, mais la réaffirmation d’une conscience politique fondée sur la mémoire méditerranéenne et sur le refus du cynisme stratégique.

La tribune met en lumière la dimension éthique de la diplomatie espagnole, qui ne s’est pas limitée à une condamnation verbale de la guerre menée par Israël contre Gaza, mais s’est traduite par un engagement diplomatique concret, des appels réitérés à un cessez-le-feu et une présence médiatique active. Madrid s’est distinguée par la cohérence et la retenue de son discours, refusant de transformer la tragédie palestinienne en simple variable d’ajustement des équilibres régionaux. Selon El-Shinawy, cette attitude traduit une conviction : la justice au Moyen-Orient n’est pas un luxe moral, mais une condition de la stabilité du bassin méditerranéen.

Le silence complice de l'UE

Ce regard lucide prend tout son sens dans un contexte où plus de 65 000 Palestiniens ont péri sous les bombardements et les privations imposées par Israël. Durant cette longue période de dévastation, les principales puissances européennes ont choisi le silence ou l’équilibre des mots, invoquant le « droit à la sécurité d’Israël » tout en détournant le regard du carnage. L’histoire retiendra cette complicité par inertie, cette abdication morale face à une politique d’anéantissement méthodique. Tandis que Bruxelles tergiversait, Madrid a su rappeler que le langage de la diplomatie ne saurait effacer celui de la conscience.

Dans un commentaire plus critique, il faut souligner que la voix espagnole, bien que courageuse, reste isolée dans un concert européen dominé par la peur de déplaire à Washington. La position de Pedro Sánchez, qui a dénoncé publiquement les massacres à Gaza et reconnu l’État de Palestine, tranche avec l’ambiguïté des dirigeants français, allemands ou italiens, prisonniers de leur double langage. Si l’Espagne a montré un sens rare de la responsabilité historique, c’est aussi parce qu’elle assume son identité méditerranéenne : celle d’un pays conscient que la paix sur la rive orientale conditionne la stabilité de la rive occidentale.

Le réveil tardif du MED9

Cependant, cette lucidité espagnole révèle par contraste l’aveuglement des autres États du MED9 (les pays méditerranéens de l’Union européenne : France, Italie, Grèce, Portugal, Malte, Croatie, Slovénie et Chypre). Ces gouvernements, longtemps silencieux, se sont enfin réunis pour réclamer l’entrée de l’aide humanitaire à Gaza -mais seulement après que le cessez-le-feu ait été imposé sous la pression du président américain. Leur réveil tardif, après des mois de carnage, résonne comme une reddition morale. Arrivés « après la tempête », ils semblent ignorer que le silence, en politique, n’est jamais neutre : il tue aussi sûrement que les bombes.

Le mérite de la tribune de Marwa El-Shinawy est d’avoir mis en lumière cette fracture morale au sein de l’Europe méditerranéenne. Elle rappelle que l’Espagne ne se contente pas de plaider pour la paix : elle défend une vision humaniste du monde, où la politique ne s’affranchit pas de la responsabilité. Dans une Méditerranée traversée par les guerres, les migrations et la montée des populismes, cette voix singulière est celle d’un pays qui refuse la déshumanisation. Là où la plupart des chancelleries européennes invoquent la « complexité » du conflit pour masquer leur inertie, Madrid rappelle que la dignité humaine n’a rien de complexe.

Un espace de solidarité humaine

Mais ce geste politique ne saurait masquer l’ampleur du drame. Gaza, ville martyre, reste un territoire dévasté, où les survivants errent parmi les ruines et la faim. L’appel espagnol à la justice et à la reconstruction ne trouvera son sens que s’il s’accompagne d’un changement structurel de la politique européenne : embargo sur les armes, poursuites contre les crimes de guerre, reconnaissance effective de la souveraineté palestinienne. Sans cela, la voix morale de l’Espagne risque de se perdre dans le vacarme d’une Union qui confond neutralité et indifférence.

La tribune d’El-Shinawy souligne que la diplomatie espagnole s’inspire de son histoire : celle d’un pays longtemps périphérique, désormais conscient que sa place dans le monde ne peut se définir que par la fidélité à des valeurs universelles. En choisissant de parler lorsque les autres se taisent, Madrid redonne à la Méditerranée une fonction que l’Europe avait oubliée : celle d’un espace de solidarité humaine.

À travers cette position, l’Espagne rappelle que la politique étrangère n’est pas un exercice d’équilibre, mais un miroir moral. Elle redonne à l’idée européenne son sens premier -celui d’un continent né des ruines de la guerre et du refus de la barbarie.

 

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