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Tunisie : la révolution de jasmin devant un tournant (Analyse)

Démissions en cascade, à commencer par le premier ministre, Mohamed Ghannouchi, suivi des
ministres de la planification et de l'industrie, qui figuraient dans le dernier gouvernement du président déchu Zine El-Abidine Ben Ali, cinq morts tués par balles, actes de vandalisme sur les commerces, violence accrue, scènes de guérilla urbaine et retour au couvre-feu total au cœur de la capitale… La Tunisie que l’on croyait enfin dans une phase d’apaisement après l’effondrement spectaculaire du système Ben Ali et une épreuve douloureuse, plonge à nouveau dans la violence. La révolution de jasmin est-elle menacée pour autant ?

Première réponse avancée: une contre-révolution sournoise des partisans de l’ancien régime qui pousseraient des hordes de jeunes à la violence avec des méthodes bien connues.

En effet, les nostalgiques du régime mafieux n’ont probablement pas désarmé. Le désordre social conséquent à la révolution leur offre une marge de manœuvre qu’ils ne vont pas abandonner de sitôt. C’est sûr, ils vomissent des discours haineux et vengeurs, échafaudent des scénarios, exploitent l’impatience des jeunes, détournent leur bonne foi, manipulent et soufflent sur les braises, incitent à la violence, nourrissent le chaos. Ben Ali et ses sbires sont bel et bien partis, mais nul n’en doute, le ver est toujours dans le fruit.

Reste qu’ils étaient samedi dernier des centaines de milliers dans la rue, porteurs d’une revendication claire, nette et précise : la rupture radicale avec la totalité de l’ancien régime et de ses ramifications. Présence ou pas de nervis des partisans de Ben Ali parmi les manifestants, une chose est sûre, la grande majorité du peuple tunisien et notamment la jeunesse, est pressée de tourner cette page noire, elle ne veut garder aucune trace de cette période dans le paysage politique.

La génération au pouvoir semble pour le moins complètement décalée par rapport à cette attente. Le premier ministre a eu la bonne idée de se retirer, mais pour être remplacé par un vieux routier, homme du sérail, âgé de plus de 80 ans. Quelles que soient son intégrité et sa bonne volonté, Béji Caïd Essebsi, nouveau premier ministre, donne à ses compatriotes le sentiment amer que la révolution de jasmin fait du surplace.

L’opposition radicale porteuse de cette revendication de rupture n’est pas plus avancée pour la prise en compte de cette attente populaire. Laminée, écrasée durant les années Ben Ali, cette opposition tarde visiblement à tirer profit de ce nouveau souffle démocratique pour se constituer en force de canalisation du mouvement populaire dans sa diversité, de rassemblement, d’organisation et de proposition.

Un pas de chacun des camps dans le bon sens pourrait sans doute préserver et renforcer la révolution de jasmin. Il revient au nouveau premier ministre de s’entourer d’une équipe jeune et sans lien avec le triste passé dans l’intervalle des élections, et à l’opposition radicale d’apaiser le climat et de faire preuve de pédagogie pour garantir et consolider l’avancée démocratique. Faute de quoi, le risque est grand de remettre les compteurs à zéro, et qui plus est, dans un monde arabe en plein bouleversement. La révolution de jasmin est, à coup sûr, devant un tournant.