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Portrait : Femmes en lutte au Maghreb.

Fatima Malki, 68 ans, est la mère de Zakaria Rifi, prisonnier politique de Sidi Ifni, petite ville portuaire du sud Marocain: «Je ne suis qu'une vieille dame, analphabète de surcroît! ».

C'était à Paris, le 12 février 2009, lors d'un meeting de solidarité avec les luttes sociales au Maghreb. Le public  réagit par un tonnerre d'applaudissements.

Fatima était la star incontestable de la soirée...Non, qu'on ne s'y trompe pas Fatima n'est pas une artiste, c'est une magicienne.
En quelques minutes, elle a fait pleurer, sourire et même rire. Elle a conjugué le verbe « résister » au féminin, au pluriel, à tous les temps...

Une femme comme les autres ?

Fatima Malki est née il y a 68 ans à Sidi Ifni, petite ville portuaire du sud du Maroc, bordée par l'océan Atlantique et les montagnes de l'Anti-Atlas. A l'époque, la ville et toute la région  étaient sous occupation espagnole.

Comme toutes les filles de sa génération, Fatima a été mariée très jeune à un homme qu'elle ne connaissait pas, monsieur Rifi. Ils ont eu dix enfants. Quand son mari décède en 1988, Fatima se retrouve avec huit jeunes enfants à charge et deux autres à peine majeurs.

Elle a assuré seule leur éducation. Elle constate, amère, que les efforts fournis, les sacrifices demeurent inutiles. Le chômage frappe de plein fouet ses enfants, mais « ce ne sont pas les seuls» dit-elle. « Dans notre ville laissée à l'abandon, depuis l'indépendance il y a quarante ans... nos enfants sont contraints à l'immigration clandestine, ceux qui survivent aux barques de la mort prennent en charge leurs familles».

Aujourd'hui, l'un de ses enfants, Zakaria Rifi est en prison. Il avait participé aux manifestations  populaires de Sidi Ifni en juin dernier. « nos enfants sont en prison simplement parce qu'ils ont réclamé le droit à une vie digne, le droit au travail » martèle -t-elle.

Le 7 août 2005, Fatima est agressée par la police

Le chômage, la corruption dans leur ville enclavée  ont poussé les habitants à organiser de nombreuses manifestations, «pacifistes » précise t-elle.

Le 7 août 2005, les habitants comptaient organiser une manifestation populaire  pour faire entendre leurs revendications aux responsables nationaux. La veille, les forces de l'ordre avaient sillonné la ville et ses cafés pour dissuader les jeunes de manifester. En vain, les jeunes leur donnaient rendez-vous pour le lendemain.

Promesse tenue. Dés  9h30, toute la ville était rassemblée. Les manifestants, femmes, jeunes moins jeunes, étaient alignés du côté de la montagne, et, en face, la police. Fatima était  en première ligne. Des mots d'ordre réclamant le droit au travail, le droit aux soins et le désenclavement de leur ville retentissent.

C'est alors qu'un membre des forces d'intervention se dirige vers elle. Fatima est rouée de coups, giflée, insultée, elle finit par tomber, avec à ses côtés deux jeunes qui s'écroulent, Brahim Boumrah et Khalid Bouchra, tous deux poursuivis dans le cadre des événements intervenus trois ans plus tard, en 2008.

Les manifestants protestent, l'indignation est à son paroxysme,. Fatima, soixante-cinq ans, est la première femme agressée par la police à Sidi Ifni.

Un dignitaire intervient, pour rappeler aux forces de l'ordre qu'elles n'ont pas le droit de s'en prendre aux femmes. Il les somme de se battre avec les hommes. Les jeunes se dispersent alors dans la montagne, ils ripostent par des jets de pierres aux balles de caoutchouc et aux bombes lacrymogène, . Les femmes les y aident en remplissant les seaux de cailloux.

Les autorités finissent par lâcher du lest, et l'ordre est donné pour autoriser la population à manifester.
A l'époque les revendications étaient semblables à celles qui ont conduit  au « samedi noir » du 7 juin 2008.

7 Juin 2008, un samedi noir

Le port est bloqué depuis neuf jours. Las des promesses des élus et responsables locaux, les habitants veulent que leurs doléances parviennent aux responsables à Rabat, la capitale. Les jeunes assurent le blocage jour et nuit; ils sont organisés en trois équipes assurant chacune huit heures.

Fatima met l'accent sur le soutien de toute la ville qui leur fournissait la nourriture et tout ce dont ils avaient besoin pour le campement.

Le 6 juin au soir, un élu chargé de négocier avec les habitants les informe qu'il se retirait des  négociations. Les jeunes soupçonnent  une intervention imminente de la part des autorités. Ils se dirigent vers la montagne et laissent les bougies et les lampes allumées dans les tentes qu'ils occupaient, pour donner l'illusion qu'ils s'y trouvent encore.

Aux aurores, les forces de l'ordre entrent dans la ville par les voies terrestre et maritime. La suite c'est Fatima qui la raconte «C'était une punition collective, comme chaque fois que nous protestons à Sidi Ifni. Nous avons été réprimés. Cette fois- ci nous avons subi un traitement jamais vu, même du temps de l'occupant espagnol... Ils se sont introduits dans les maisons, ils ont détruit le mobilier, ils ont passé la population à tabac, sans distinction entre jeunes, vieux, femmes, jeunes filles... Ils ont procédé à plusieurs arrestations. Mon fils Khalil a été tabassé; il avait de la fièvre et des hématomes sur tout le corps. Pendant plusieurs jours nous avons essayé d'atténuer ses douleurs par des glaçons et quelques médicaments..... »

Fatima ne comprend toujours pas la réaction disproportionnée des autorités marocaines: « Nous réclamons juste nos droits. Du travail pour nos enfants, des projets de développement pour notre ville, des routes praticables. Nous voulons un hôpital digne de ce nom pour ne plus avoir à faire  cinquante kilomètres pour aller à Tiznit, ou cent cinquante pour se rendre à Agadir. Deux jeunes femmes sur le point d'accoucher sont mortes sur la route de l'hôpital. Deux sœurs, décédées dans les mêmes circonstances à deux ans d'intervalle, ce n'est pas normal!»

« Nous résistons pour nos enfants »

Les cent cinquante kilomètres qui la séparent de la ville d'Agadir, elle les parcourt une fois par semaine. Un aller retour, pour la prison d'Inzegane à Agadir, pour voir et apporter le couffin à son fils Zakaria, emprisonné, depuis le 29 août 2008, sans jugement.

«Quand ils ont frappé à ma porte, et m'ont annoncé qu'ils sont venus chercher Zakaria, je me suis sentie vidée. Je suis allée le voir, je lui ai dit:  Mon fils, mets un survêtement en dessous de tes vêtements, ils sont venus t'arrêter. En suivant mon fils, j'ai découvert les dizaines de policiers en uniforme et en civil autour de mon domicile. J'ai crié de toutes mes forces, prenez-le, comme vous avez pris le meilleur de la jeunesse de cette ville, prenez-le!  Et je l'ai accompagné de mes youyous jusqu'à la disparition de la voiture qui le transportait... Je me consumais, je sentais comme des flammes brûler dans ma poitrine ».

Fatima Malki soupire, les larmes qui viennent de remplir ses yeux n'ont pas estompé son regard vif.
Elle poursuit avec un ton déterminé : « Aujourd'hui, nous résistons, nous résistons pour nos enfants. D'ailleurs ils vous transmettent des salutations de résistance depuis leurs prisons de Tiznit et d'Agadir! »

Le procès de Zakaria Rifi et des détenus politiques de Sidi Ifni est prévu pour le 5 mars 2009; il a été reporté une première fois, le 12 février dernier.

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