Algérie : un 1er Novembre à l'heure des nostalgies coloniales
Soixante et onze ans après le déclenchement de la guerre de Libération nationale, l’Algérie commémore, ce 1er novembre, la date fondatrice de son indépendance. Plus qu’une journée de souvenir, c’est une boussole, selon les mots du président Abdelmadjid Tebboune, qui « oriente l’Algérie pour asseoir les fondements de l’État national ascendant ». Car la fidélité aux martyrs, rappelle-t-il, « demeure une source de force et de détermination », à l’heure où le monde traverse de profondes fractures et où la région connaît des tensions multiples.
Le 1er novembre 1954 n’est pas seulement une date de l’histoire algérienne : c’est aussi le moment où vacille tout un ordre colonial fondé sur la domination, l’humiliation et la dépossession. Pour la France coloniale, écrit El Moudjahid, ce fut « le cauchemar le plus long de son histoire », un séisme existentiel dont les secousses traversent encore la société française. De l’émir Abdelkader à Fatma N’Soumer, de Boubaghla à Hassiba Ben Bouali, l’histoire algérienne s’est construite dans la résistance. Et cette mémoire, toujours vive, continue de déranger les héritiers d’un empire déchu.
Rouvrir les plaies, empoisonner les relations
C’est dans ce contexte qu’intervient, en France, une résurgence stupéfiante des nostalgies coloniales. L’adoption, à l’initiative de l’extrême droite, d’une résolution parlementaire dénonçant l’accord de 1968 sur les conditions d’entrée et de séjour des Algériens en est le dernier symptôme. Ce texte, juridiquement vide -comme l’a rappelé le président français lui-même-, n’a d’autre effet que de rouvrir les plaies, d’empoisonner les relations entre les deux pays et d’exposer encore davantage les Français d’origine algérienne à la stigmatisation et au racisme.
Cette agitation n’est pas sans arrière-pensée politique : elle sert à masquer les impasses d’un débat français en crise, incapable de regarder son passé en face. Tant que la France ne reconnaîtra pas pleinement les crimes du colonialisme -enfumades, spoliations, exécutions, camps et tortures-, la plaie ne se refermera pas. Comme l’écrivait Jean-Paul Sartre en 1956, « le colonialisme est notre honte ». Cette honte, loin de s’effacer, s’est installée, nourrissant aujourd’hui encore la parole de certains élus et chroniqueurs en mal d’identité.
Face à cette amnésie choisie, l’Algérie, elle, avance. Sa souveraineté politique, économique et culturelle s’affirme. Sa diplomatie retrouve une voix forte sur la scène internationale, aux Nations unies, en Afrique et dans le monde arabe. C’est cette affirmation — celle d’un pays qui s’assume et se projette — qui dérange tant ceux qui rêvent encore d’« Algérie française».
Des destins qui restent liés
Mais au-delà des crispations, une autre réalité se dessine. Les deux peuples, unis par une histoire tragique mais commune, savent que leurs destins restent liés. De part et d’autre de la Méditerranée, les jeunesses algérienne et française refusent l’héritage des rancunes. Elles partagent une même aspiration à la liberté, à la justice et à la reconnaissance mutuelle. Là où certains veulent dresser des murs, elles construisent des ponts : dans les échanges universitaires, les arts, les sciences, la solidarité associative.
Commémorer le 1er novembre, c’est donc moins ressasser les blessures que rappeler la dignité retrouvée d’un peuple et la possibilité d’un avenir partagé. L’histoire n’a pas vocation à séparer, mais à éclairer. Et si la mémoire reste une arme, c’est avant tout celle du dialogue et de la vérité.
Photo (DR)