L’Algérie sont engagée dans une rivalité de pouvoir pour le leadership régional

L'Algérie face à la complexité des défis de sécurité régionaux

L'Algérie connait actuellement de nombreuses crises à ses frontières qui peuvent menacer sa sécurité. Soucieuse de conserver son rôle régional et préoccupée par les évènements au Sahel, elle se retrouve aujourd'hui prise en étau avec la présence de plusieurs puissances étrangères dans ce qu'elle considère être sa sphère d'influence. 
 

Libye: à la reconquête d'une influence perdue

Qu'on se le dise toute suite, la crise libyenne ne menace pas les frontières algériennes, mais l’Algérie elle-même. Au-delà des 860 kilomètres de frontières que partagent les deux États, l’Algérie possède des intérêts énergétiques colossaux avec Tripoli. L’autre élément important est que la déstabilisation de la Libye va exposer le pays à de nouvelles menaces venant du Sahel, la Libye ne constituant plus l’espace tampon qui pouvait endiguer les éventuels dangers venant du sud.
La crise libyenne est également un examen pour la diplomatie algérienne. Elle représente un véritable défi sur le plan politique et sur le plan sécuritaire. Pour le politologue, Hasni Abdi, directeur du Centre d’études et de recherche sur le monde arabe et méditerranéen (CERMAM), « Nous assistons à une prise de conscience de cette menace par l’Algérie, car pendant longtemps Bouteflika a concentré la prise de décision en matière de politique étrangère et a complètement grippé la machine diplomatique. C’est pourquoi nous avons l’impression aujourd’hui que l’Algérie se réveille en sursaut face à une menace qui vient de l’est ». De plus, l’après-Kadhafi a écorné l’image de l’Algérie au sein de la population libyenne. Alger s’est éloignée depuis son soutien jusqu’au-boutiste à Mouammar Kadhafi par peur d’une contagion des « printemps arabes », puis en allant jusqu’à accueillir toute sa famille en exil. Elle a fini par perdre son influence même au Fezzan et dans le pays touareg qui faisaient traditionnellement partie de son aire d’influence. Ainsi, l’avènement du maréchal Khalifa Haftar est devenu la personnification de la perte d’influence de l’Algérie en Libye lors de l’époque Bouteflika.
La nature ayant horreur du vide, plusieurs autres acteurs ont profité du rabattement des cartes post Kadhafi et bénéficié du tâtonnement d’Alger à l’ère de Bouteflika pour s'implanter durablement dans le pays. Pour remédier à cela, le ministre algérien des Affaires étrangères, Ramtane Lamamra, multiplie les mesures politiques et les condamnations face aux nombreuses interventions étrangères en Libye.

"L'Algérie condamne fermement la poursuite des ingérences étrangères sous toutes ses formes dans les affaires intérieures libyennes, et réclame le retrait des forces étrangères et des mercenaires de ce pays voisin", a-t-il déclaré à l'occasion de la Conférence internationale sur la Libye, tenue hier vendredi 12 novembre à Paris, en France.

Le chef de la diplomatie algérienne a encore récement rappelé "que l'Algérie est un acteur clé dans le processus politique en cours pour la tenue de la première élection présidentielle en Libye, le 24 décembre". Dans un communiqué, il ajoute que cette élection devrait permettre à ce pays de sortir progressivement de la crise qui le secoue depuis dix ans. Il a également dénoncé, "l’implication de parties étrangères dans la violation de l’embargo sur les armes vers ce pays, en dépit de leur engagement à respecter les résultats de la conférence de Berlin ainsi que les décisions du Conseil de sécurité de l’ONU y afférentes".
L’Algérie tente d’amorcer des mesures concrètes pour réactiver son rôle dans ce pays pétrolier afin de préserver sa sécurité et d’éviter des scénarios catastrophes dans la région. Car faut-il le rappeler, la situation politique et sécuritaire en Afrique du Nord, dans la région du Sahel et dans le Bassin du Nil est assez précaire et délicate. Traversant une conjoncture assez tendue, tout échec à contenir la crise libyenne aura des impacts certains sur Alger et les les pays limitrophes, qui seront les premiers à payer le prix d'une nonchalance internationale dans la maîtrise de l’imprudence de certains acteurs en Libye.

Au Mali, la Russie nouvel entrant dans le jeu malien

Géographiquement proche, l’Algérie considère le Mali comme son arrière-cour. Dès lors, la crise entre Paris et Alger influence grandement la situation malienne. La dégradation des relations entre les deux capitales créent les conditions favorables pour le déploiement des mercenaires russes du groupe privé Wagner au Mali.
Selon les informations du quotidien français, Le Monde, Alger ne s’opposerait pas au déploiement du groupe privée russe afin de combattre l’offensive djihadiste dans la zone. Toujours selon le même source, il semblerait "qu’un renforcement de la présence de la Russie dans ce pays (le Mali) ne serait par un repoussoir. Un scénario confirmé par une source française de haut niveau."

Depuis quelques années, Maliens et Algériens s'équipent lourdement d'équipements militaires russes. Cette influence grandissante de Moscou à la vente d’armes a fait récemment écho au retrait de la force Barkhane du Mali qui a embourbé la France dans une crise sécuritaire et politique depuis prés d’une décennie. En effet, Paris a entrepris en juin de réorganiser son dispositif militaire de lutte contre les terroristes au Sahel, en quittant notamment les bases les plus au nord du Mali (Kidal, Tombouctou et Tessalit) et en prévoyant de réduire ses effectifs dans la région d'ici 2023 à 2500-3000 hommes, contre plus de 5000 aujourd'hui. La base de Kidal avait été rétrocédée aux Maliens mi-octobre. Reste, désormais, celle de Tombouctou. Les relations entre Paris et Bamako se sont envenimées le 25 septembre dernier, lorsque le Premier ministre de transition malien, Choguel Kokalla Maïga, a accusé la France, engagée militairement au Mali depuis 2013, d'abandon en plein vol. Des critiques censées justifier le possible recours au groupe de sécurité privée russe Wagner, décrit comme proche du président russe, Vladimir Poutine, pour compenser la réduction de la voilure de Barkhane.

Pour l’Algérie, il s’agit alors de s’assurer que les forces armées maliennes sont aptes à reprendre le relais, et qu'à l'inverse les forces djihadistes soient endiguées. Engagée sur plusieurs fronts, Alger peut voir dans la présence de la société de sécurité russe Wagner sur le territoire malien, déjà présente en République centrafricaine et en Libye dans le camp de Haftar, une force alternative et supplétive à la lutte antiterroriste au Sahel. D’autant plus que les relations russo-algériennes sont influencées par une partie des cadres de l'armée algérienne ayant été formée en Russie.
Rappelons que le groupe Wagner, avec qui les autorités russes démentent tout lien, fournit des services de maintenance d'équipements militaires et de formation. Il est accusé, notamment par la France, de se rémunérer sur les ressources des pays d'accueil et de servir les intérêts du Kremlin. La présence des paramilitaires de Wagner a été signalée dans plusieurs pays d'Afrique, notamment en Centrafrique et en Libye, mais aussi en Syrie. Plusieurs pays européens, France et Allemagne en tête, ont prévenu qu'un accord entre Bamako et Wagner remettrait en cause leur présence militaire au Mali, chose qui pourrait pousser Alger à s'impliquer davantage.

 

Relations avec le Maroc : Rivalité, armes et quête d'alliés

Depuis leurs indépendances, le Maroc et l’Algérie sont engagés dans une rivalité de pouvoir pour le leadership régional. Cette rivalité prend une autre dimension à partir de 2011, avec la chute de Mouammar Kadhafi suite à l’intervention militaire de l’Otan. Celle-ci a provoqué la déliquescence de la structure étatique et un vide sécuritaire, mettant la Libye dans un véritable chaos avec l’émergence du phénomène des milices et des groupes djihadistes. Cette situation a eu un impact direct sur les pays voisins, notamment le Mali, et a poussé le Maroc et l’Algérie dans une nouvelle rivalité régionale liée à leur implication dans le dossier libyen et malien. Alger a vu d’un mauvais œil l’activisme diplomatique marocain dans la région du Sahel, notamment en Libye, qu’elle considère comme relevant de sa zone stratégique.
Bien évidemment, les relations entre les deux pays ne se sont pas arrangées avec le protocole d’accord de défense, signé le 24 novembre, entre le Maroc et Israël. Cette alliance, qui inquiète Alger, est d’autant plus considérable, qu’elle possède des dimensions géopolitiques qui peuvent rebattre les cartes de la région méditerranéenne et africaine.
Le schéma semble avoir été ficelé dès la conclusion des accords de normalisation, à l’automne 2020, et peut-être même avant. Israel et le Maroc n’ont pas perdu de temps pour franchir en moins d’une année les étapes du processus de rapprochement, jusqu’à parvenir à la visite du ministre israélien de la Défense, Benny Gantz, à Rabat et à la signature du protocole, qualifié à juste titre de "sans précédent”.
De son côté, l’Algérie est doublement concernée par cet accord militaire. Le pays est un soutien historique de la cause palestinienne, qu’il défend jusqu’à aujourd’hui, et n’a jamais entretenu de relations diplomatiques avec Israël. Au-delà de la question palestinienne, l’Algérie joue un rôle non négligeable dans le conflit au Sahara occidental. Depuis des décennies, le pays est opposé au Maroc sur la question du statut de ce territoire en soutenant les indépendantistes du Front Polisario qui rejettent le contrôle des deux tiers de ce territoire par le Maroc ainsi que le plan d’autonomie sous sa souveraineté que Rabat propose. Tout comme le Maroc, le Polisario et la Mauritanie, l’Algérie fait partie des négociations menées par l’ONU et suspendues depuis plusieurs mois. L’Algérie abrite en outre plusieurs camps de réfugiés sahraouis dans la province du Tindouf.
Dans une tentative de redynamiser sa diplomatie, l’Algérie cherche à jouer un rôle sur tout le continent africain pour limiter l’influence israélo-marocaine. Pour ce faire, Alger est décidée à s’entourer d’alliés forts. Outre la Russie sur le dossier malien. L'Algérie accorde un intérêt particulier au partenariat dans le cadre du Forum de coopération avec la Chine, un pays ami et un partenaire stratégique, et un des premiers pays à avoir apporté son aide aux pays africains pour mettre fin au colonialisme et développer le continent", a indiqué M. Lamamra dans une allocution prononcée au cours de la 8e réunion ministérielle du Forum FCSA), à Dakar (Sénégal).
Il a également rappelé que le projet de liaison en fibre optique Alger-Aboja, qui s'inscrit dans le cadre du projet de Nepad, permettra d'optimiser l'usage des technologies, de l'information, et de la communication et participera à réduire la fracture numérique.
Dans le même cadre, il a relevé que "le raccordement de la route transsaharienne aux réseaux des autoroutes algériennes et les autres infrastructures à l'instar des aéroports et les ports algériens contribuera à la facilitation du mouvement des marchandises dans notre continent et le reste du monde et à l'activation du commerce international à travers la réduction considérable des coûts du transport, et par conséquent, l'optimisation de la compétitivité des produits de notre continent dans les marchés régionaux et internationaux". Il a également ajouté que "Ces projets qui s'inscrivent dans le cadre de convention relative à la Zone de libre échange continentale africaine (ZLECAF), en vigueur depuis le début de cette année, permettront le renforcement du commerce interafricain et ouvriront une nouvelle perspective pour nos partenaires chinois pour de nouveaux investissements dans notre continent dans l'intérêt des deux parties".
Dans un autre registre, cette rivalité, combinée avec les enjeux géopolitiques, stratégiques et sécuritaires que connait la région a poussé le Maroc et l’Algérie vers le renforcement de leurs dispositifs militaires, ce qui a engendré une féroce course aux armements. Cela se concrétise par l’achat d’armes de plus en plus sophistiqué à destination des différentes composantes de leurs forces respectives. En août 2020, l’administration américaine a autorisé le Maroc à acquérir 25 avions de chasse F-16 pour une valeur de 3,8 milliards de dollars et à moderniser les 23 autres F-16 Viper que le royaume possède déjà. L’armée marocaine veut aussi renforcer ses capacités offensives, à travers la commande de 24 hélicoptères AH-64E Apache pour un coût total de 1,6 milliard de dollars. On peut également citer le nouvel accord militaire avec Israël qui est du même acabit. L’Algérie, quant à elle, a signé des contrats pour l’acquisition de 42 avions de chasse russes de type Sukhoi (14 appareils Sukhoi Su-34, 14 appareils Sukhoi Su-35 et 14 Sukhoi Su-57). Avec cette commande, l’Algérie est devenue le premier pays arabe et africain à se doter d’avions de 5e génération, grâce à l’acquisition de l’avion furtif Su-57, considéré comme le fleuron de l’aviation russe.