France : le spectre de l’extrême droite à Matignon
La France traverse une crise politique d’une intensité inédite, et le spectre de l’arrivée au pouvoir de l’extrême droite n’a jamais été aussi tangible. Le Rassemblement national (RN) se trouve aujourd’hui en position de force, prêt à cueillir le pouvoir comme un « fruit mûr », pour reprendre l’expression de ses cadres. Cette situation, gravissime pour la démocratie française, n’est pas le fruit du hasard. Elle est la conséquence directe d’un désordre politique soigneusement entretenu, dont les principaux responsables se trouvent au sommet de l’État et dans les rangs d’une opposition fragmentée.
La résignation de l’opinion et le piège de la dissolution
Le premier constat est accablant : l’opinion publique semble se résigner à l’idée d’un gouvernement d’extrême droite. Cette fatalité est le produit direct du chaos provoqué par la dissolution de l’Assemblée nationale en juin 2024. En précipitant le pays dans des élections anticipées, le président Emmanuel Macron a cru jouer un coup de maître. Il n’a, en réalité, ouvert une boîte de Pandore dont il a perdu tout contrôle. Ce calcul politique, d’une légèreté consternante, a instillé l’idée que l’extrême droite était une alternative viable, banalisant ainsi son accès aux plus hautes sphères de l’État.
Pire, le chef de l’État n’a ensuite pas respecté l’esprit des urnes, s’accrochant au pouvoir par tous les moyens. La chute successive de deux premiers ministres, suivie de la démission expéditive de Sébastien Lecornu, donne à voir l’image pathétique d’un président qui, arc-bouté sur son siège, refuse d’acter l’affaiblissement de son camp. Cette obstination, loin d’impressionner, nourrit le discours du RN sur l’incapacité des « élites » à gouverner et sur la nécessité d’un « grand nettoyage ». Chaque rebondissement de cette crise est une aubaine pour Marine Le Pen, qui n’a même plus besoin de forcer son talent : ses adversaires creusent eux-mêmes la tombe de la Ve République.
La menace d’une seconde dissolution: Bardella à Matignon :
La menace d’une seconde dissolution plane désormais comme une épée de Damoclès. Ce scénario, que le RN appelle de ses vœux avec une impatience à peine dissimulée, pourrait être l’étincelle qui propulserait son numéro deux, Jordan Bardella, à Matignon. Le parti affirme, avec une assurance troublante, être en mesure de remporter au moins 240 circonscriptions. Son pré-investissement massif de 95% de ses candidats et sa préparation méticuleuse en vue d’élections surprises démontrent une stratégie de conquête parfaitement rodée.
Le RN se présente en parti « pro-actif » et « prêt », contrastant volontairement avec le spectacle désolant d’un exécutif en roue libre. La stratégie est simple et diablement efficace : censurer systématiquement tout gouvernement, alimenter l’instabilité, et se poser en unique recours face au « champ de ruines » qu’ils contribuent à créer. La boucle est bouclée : le RN, acteur de l’obstruction parlementaire, se présente comme la solution à la crise qu’il aggrave. Le cynisme de cette manœuvre n’a d’égal que la faiblesse de ceux qui lui opposent une résistance désunie.
La responsabilité des partis de gouvernement
Si la responsabilité du président Macron est écrasante, elle ne doit pas exonérer les partis traditionnels, dont les divisions et les ambitions personnelles ont libéré le terrain pour l’extrême droite.
À gauche, le Parti socialiste (PS) vient de porter un coup fatal à l’unité de la Nouvelle Union populaire écologique et sociale (NUPES). En flirtant avec la macronie et la droite pour espérer gouverner, il a brisé le front qui avait permis de contenir le RN en 2024. Son calcul est suicidaire : en cas de nouvelles élections, sans alliance solide avec La France Insoumise (LFI), il multiplierait les échecs, laissant le champ libre au RN dans de nombreuses triangulaires. Cette trahison des idéaux de gauche au profit d’un réalpolitik de court terme est une trahison historique.
À droite, le parti Les Républicains (LR) n’est plus que l’ombre de lui-même. Son maigre groupe parlementaire est condamné à l’effritement. Les Français ont déjà « essayé » la droite classique et, déçus, se tournent naturellement vers une offre plus radicale. LR, miné par les luttes intestines et la tentation de la collaboration avec le RN, n’offre plus aucune alternative crédible. Son déclin est la condition sine qua non de l’hégémonie de l’extrême droite sur l’électorat de droite.
Vers un scénario cauchemardesque ?
Le constat est sans appel : par son imprudence, Emmanuel Macron a offert au RN une crédibilité qu’il n’aurait jamais dû acquérir. Par leurs divisions, le PS et LR lui ont préparé le terrain. La question n’est désormais plus de savoir si l’extrême droite peut arriver au pouvoir, mais quand. La prochaine dissolution pourrait bien être l’ultime marche qui mènerait Jordan Bardella à Matignon, plaçant les leviers de l’État administratif entre les mains d’un parti dont les racines idéologiques n’ont jamais été entièrement assumées. Ce scénario, inimaginable il y a encore cinq ans, est aujourd’hui une possibilité concrète. Marine Le Pen, en stratège avisée, laisse son poulain incarner la respectabilité, tandis qu’elle prépare patiemment sa propre marche vers l’Élysée. L’histoire retiendra que la classe politique dans son ensemble, par son aveuglement et ses renoncements, aura été la complice de cette dérive sans précédent.