Ils s'appelaient Mohammed, Saddam, Ahmad… le reportage nécessaire du Monde sur les assassinats ciblés d’enfants palestiniens
Le Monde publie un long reportage dans son édition du 7 octobre, consacré à ces enfants palestiniens tués par l’armée israélienne dans les territoires occupés. Des témoignages d’une douleur inouïe, recueillis au cœur de la Cisjordanie, rappellent que ces crimes sont commis sous les yeux d’une communauté internationale impassible — et d’une Europe qui a pourtant les moyens de les empêcher.
Dans le village d’Al-Rihiya, près d’Hébron, un petit garçon rêvait de devenir médecin.
« Il voulait entendre : “Le docteur Mohammed est demandé aux urgences”, dans les haut-parleurs d’un hôpital », raconte sa mère, Alia Al-Hallaq, au voile imprimé léopard, rencontrée par le journaliste du Monde. Mohammed avait neuf ans et demi. Le 16 octobre, il a été tué d’une balle tirée par un soldat israélien alors qu’il courait vers la maison de ses grands-parents. « Le tir, qui a traversé son corps d’une hanche à l’autre, ne lui a laissé aucune chance. Selon plusieurs témoins, le soldat aurait ensuite levé son arme en l’air, comme un signe de célébration. »
Des balles pour des enfants
L’armée israélienne, contactée, n’a pas souhaité commenter. Mohammed avait simplement un sac à dos bleu offert par l’Unicef et une passion pour les oiseaux des collines de Palestine. Son corps d’enfant s’ajoute à une liste macabre : selon l’Unicef, quarante-quatre mineurs palestiniens ont été tués depuis le début de l’année. Des enfants abattus par balle, parfois par des snipers, ou victimes de frappes de drones. Aucun soldat n’a été sanctionné, et dans la plupart des cas, l’armée n’ouvre même pas d’enquête.
« Après le 7 octobre, les soldats israéliens ne tirent plus que pour tuer, même sur des enfants sans défense », déplore Ayed Abu Eqtaish, de l’ONG Defense for Children International-Palestine. Il décrit une « déshumanisation systématique » des jeunes Palestiniens, désormais considérés comme des « terroristes potentiels ».
Le reportage du Monde évoque aussi la lente agonie de Saddam, dix ans, filmée par une caméra de surveillance à Tulkarem. Une balle de sniper lui a traversé le foie alors qu’il appelait sa mère. « Sur la vidéo, le petit garçon se tord de douleur, à même le sol, pendant deux longues minutes, alors que plusieurs voitures le dépassent, trop effrayées pour s’arrêter. » Le père, Iyad Rajab, raconte que les soldats ont retardé l’ambulance en exigeant qu’on soulève le corps pour vérifier qu’il ne cachait rien. Vingt-deux minutes perdues à discuter. Saddam est mort huit jours plus tard. Aucune enquête n’a abouti.
Plus loin, à Sebastia, près de Naplouse, un autre père, Rachid Jazar, montre le vêtement troué par la balle qui a tué son fils Ahmad, quatorze ans. « Je n’arrivais plus à me contrôler », murmure-t-il. Depuis, il baisse les rideaux et verrouille les portes à chaque incursion militaire, comme pour protéger encore une fois la mémoire de son fils.
L’Europe regarde sans voir
Ces récits bouleversants, publiés dans un grand quotidien français, révèlent l’étendue d’une tragédie trop souvent effacée du débat public. Des crimes innommables commis sous les yeux de la communauté internationale, qui se contente d’exprimer sa « préoccupation ». L’Europe, partenaire économique et politique d’Israël, se tait. Elle aurait pourtant les moyens de stopper ces assassinats ciblés : sanctions, embargos, pressions diplomatiques. Rien de tout cela n’a été entrepris.
Pire encore, certains commentateurs français, notamment sur les chaînes d’information continue d’extrême droite, osent qualifier ces morts d’« incidents » ou de « dommages collatéraux ». Une manière d’avaliser l’assassinat d’enfants sous couvert de sécurité nationale. Ce renversement moral, cette anesthésie de la conscience, achèvent d’effacer la frontière entre discours de guerre et discours de haine.
C’est pourquoi il faut saluer le mérite du Monde. En publiant ce reportage, le quotidien a fait œuvre de vérité. Fidèles à leur éthique professionnelle, ses journalistes n’ont pas cédé à la peur, ni au conformisme médiatique. Ils ont donné un nom, un visage et une histoire à ces enfants qu’on réduit trop souvent à des chiffres.
L’acharnement contre les enfants palestiniens, des enfants déjà affamés et privés d’école, restera comme la page la plus sombre de cette guerre. Leurs rires se sont tus sous les balles, leurs rêves effacés par l’indifférence.
Et tant que ces crimes resteront impunis, tant que les chancelleries européennes détourneront le regard, l’enfant palestinien demeurera la cible la plus vulnérable et la plus oubliée de notre temps.
Sources :
– Le Monde, édition du 7 octobre 2025, reportage en Cisjordanie.
– Unicef, rapport 2025 sur les violations graves contre les enfants dans les territoires palestiniens.
– Témoignages recueillis par Defense for Children International-Palestine.
Photo: (DR)