Les bombardements américains sur la base syrienne d’Al-Chayra marquent un tournant et posent quelques questions quant aux véritables motivations de Donald Trump (DR)

Syrie : Daesh, Bachar Al Assad et… Trump, artisans de l’horreur

Les frappes unilatérales américaines sur la base syrienne d’Al-Chayrat, en représailles à l’attaque chimique attribuée au régime syrien, torpillent le cycle de négociations en cours à Genève. Acculé sur le terrain, l’«État islamique» active ses cellules dormantes dans les capitales occidentales.

Attentats sanglants en Égypte et en Suède, attaque chimique attribuée au régime de Bachar Al Assad sur une ville syrienne dans le nord-ouest du pays, sous contrôle des djihadistes –qui a fait plus de 85 morts, dont de nombreux enfants –,bombardement américain en représailles sur la base syrienne d’Al-Chayrat, deux navires américains en Méditerranée… la guerre, celle qui ravage le Proche-Orient depuis les années 1990, a enregistré de nouveaux pics d’horreur en l’espace d’une semaine, du 3 au 9 avril.

Le chauffeur du camion qui a tué quatre personnes, vendredi 7 mars, à Stockholm, déclare avoir agi sur ordre de l’«État islamique» (EI). Ce dernier revendique les deux attentats commis, dimanche 9 mars, contre deux églises coptes où les fidèles célébraient la fête des Rameaux au Caire et à Alexandrie et qui ont fait au moins 27 et 17 morts, ainsi qu’une centaine de blessés. Une quinzaine de jours auparavant, le 22 mars, un individu au volant d’une voiture avait foncé sur la foule au cœur de Londres, tuant deux personnes, avant d’être abattu par la police. L’EI a également revendiqué cette attaque. «L’opération a été menée en réponse à l’appel à frapper les pays de la coalition», précise l’organisation par le biais de son agence de propagande, Amaq.

Plus de 50.000 civils dans les décombres de Mossoul

Une chose au moins est sûre, que partage la grande majorité des observateurs : les opérations meurtrières commanditées correspondent à des revers, subis par les djihadistes, sur le terrain du conflit armé. Tel est le cas, notamment, à Mossoul, deuxième ville d’Irak. À l’offensive depuis cinq mois, les forces de sécurité irakiennes ont repris toute la partie est. Les djihadistes – un millier, selon des sources concordantes – sont encerclés depuis la mi-mars, piégés par la reconquête de l’ouest de la ville. Une situation cauchemardesque pour les 50 000 civils, selon l’ONU, qui tentent de survivre entre les décombres. «L’organisation terroriste Daech essaie de stopper par tous les moyens l’avancée des forces irakiennes à Mossoul. Elle rassemble des civils (...) et les utilise comme boucliers humains», explique le gouverneur Nawfal Hammadi, cité par l’AFP, samedi 25 mars.

Acculée à ce point à Mossoul, après la libération de la ville syrienne d’Alep, l’EI opte sans surprise pour la stratégie de la terre brûlée en sacrifiant les populations civiles détenues en otages. L’organisation exploite en toute logique toutes les opportunités de frappe. À commencer par l’Égypte, où les Coptes – 10 % des 92 millions d’Égyptiens –, insuffisamment protégés, constituent une cible idéale, avec un effet médiatique garanti en Occident. «Ces attentats soulignent à la fois le ciblage délibéré de la minorité copte par l’EI et l’étendue des failles sécuritaires de l’État», explique Amr Abdelrahman, directeur des droits civils à l’Initiative égyptienne pour les droits personnels (EIPR), organisation locale de défense des droits de l’homme, cité par le journal «le Monde». À Stockholm comme à Londres, Daech a par ailleurs actionné à l’évidence des cellules dormantes. Ses réseaux, qui donnent du fil à retordre à tous les services de renseignements occidentaux, constituent, à n’en point douter, une force de frappe non négligeable.

Tump torpille le cycle de négociations de Genève

Les bombardements américains sur la base syrienne d’Al-Chayrat interviennent dans ce contexte de mise en échec progressive de l’EI. Ils marquent un tournant et posent quelques questions quant aux véritables motivations de Donald Trump (lire ci-contre). Le président américain a agi à sa guise, au mépris du Conseil de sécurité de l’ONU et sans s’embarrasser d’une éventuelle enquête sur l’attaque chimique. Les 59 missiles de croisière Tomahawk ont, sans surprise, déclenché un soutien et une mobilisation des alliés (France, Allemagne, Royaume-Uni, Israël, Japon), qui s’étaient jusque-là résignés à la consolidation de l’axe Moscou-Téhéran-Damas dans la confrontation avec l’«État islamique» et les groupes armés qui lui sont affiliés.

L’intervention unilatérale de Trump a pour première conséquence le refroidissement des relations avec la Russie. Les frappes américaines ont été qualifiées par Poutine «d’agression contre un État souverain en violation des normes du droit international». Rendu pour la première fois à Moscou, mercredi 11avril, le secrétaire d’État américain Rex Tillerson ne sera pas reçu au Kremlin. Et pour cause, le président américain torpille surtout le cycle de négociations de Genève, engagé sous l’observation et le contrôle des Nations unies, à l’initiative de Moscou.

«Les victimes de cette tragédie doivent constituer le dernier tribut que le peuple syrien aura à verser», a déclaré, à propos de l’attaque chimique, Ramtane Lamamra, le ministre algérien des Affaires étrangères, lors d’une conférence de presse aux côtés de la haut-représentante de l’Union européenne, Federica Mogherini, en visite en Algérie, samedi 8 avril.
Au final, une chose reste sûre dans tous les cas : quelles que soient ses motivations, Donald Trump ouvre une nouvelle phase à hauts risques pour les populations civiles, déjà meurtries par un conflit aux conséquences particulièrement abominables. Il remet les compteurs de la guerre à zéro.

Source: Humanité Dimanche n° 556