La cuisine orientale confrontée à la hausse des coûts des produits de base
Face à l’envolée du coût des matières premières — semoule, huile d’olive, amandes — les restaurateurs orientaux s’inquiètent. Tajines, couscous et pâtisseries maghrébines voient leurs marges se réduire à peau de chagrin. Entre hausse continue des importations et incertitudes géopolitiques, un pan entier de la gastronomie populaire tente de tenir bon.
Dans les rues de Marseille, Paris ou Lyon, les tables orientales font partie du paysage culinaire depuis des décennies. Couscous généreux, bricks croustillantes, tajines aux fruits secs, pâtisseries gorgées de miel… Une cuisine identitaire, chaleureuse, populaire. Mais aujourd’hui, elle se trouve fragilisée par une flambée sans précédent du prix de ses ingrédients essentiels.
La semoule, base du couscous et de nombreuses préparations, a pris entre 25 % et 40 % en un an selon les distributeurs. L’huile d’olive, pilier gustatif et nutritif de la cuisine maghrébine, atteint parfois des prix jugés «délirants» par les professionnels. Les amandes, indispensables aux cornes de gazelle, makrouts et autres douceurs, se négocient désormais à des tarifs stratosphériques.
Dans son petit restaurant familial de la Belle-de-Mai, Nassim Charef ne cache pas son inquiétude : « Une boîte de semoule de 25 kilos, je la payais 18 euros l’an dernier. Aujourd’hui, c’est 27 ou 28 euros. Et l’huile d’olive, n’en parlons pas : le bidon de 5 litres dépasse les 35 euros chez certains fournisseurs. »
Une double crise agricole et géopolitique
La première explication est agricole. Les grandes régions productrices, notamment en Afrique du Nord mais aussi en Espagne ou en Italie, ont connu plusieurs années de sécheresse sévère. Les rendements des oliveraies ont chuté, réduisant l’offre mondiale. Les producteurs de blé dur, matière première de la semoule, n’ont pas été épargnés. Résultat : pénuries, tensions sur les marchés, et hausse mécanique des prix.
La seconde cause est géopolitique. Les perturbations du commerce international — guerre en Ukraine, instabilité en Méditerranée, hausse du coût du transport — pèsent sur les importations. « Le blé dur que nous achetions facilement en Turquie ou au Canada arrive aujourd’hui plus tard, plus cher, et parfois en moindre quantité », explique un grossiste du marché de Rungis.
Les restaurateurs, eux, subissent ces fluctuations sans pouvoir toujours les répercuter sur la clientèle. « Le couscous, c’est un plat populaire. Si je le mets à 20 euros, les habitués ne viendront plus », résume Aïcha, patronne d’un petit établissement du quartier de la Guillotière, à Lyon.
Pâtisseries en danger, identité menacée
Les pâtissiers orientaux sont parmi les plus touchés. Les amandes, déjà onéreuses ces dernières années, ont encore augmenté. Certaines boutiques ont dû revoir leurs recettes. «Je n’utilise plus que 40 % d’amandes pures dans mes cornes de gazelle. Le reste, ce sont d’autres fruits secs moins chers. Sinon, je devrais vendre la pièce à trois euros… impossible », raconte Samir, pâtissier à Montpellier.
L’impact est aussi culturel. Beaucoup de restaurateurs y voient une menace sur la transmission des savoir-faire. « Une huile d’olive de mauvaise qualité change tout. Mais si je garde la même huile qu’avant, je perds de l’argent. Je suis coincé », confie une restauratrice tunisienne de Marseille. Pour compenser, certains réduisent les quantités, raccourcissent les cartes ou remplacent les produits emblématiques par des alternatives moins coûteuses.
Une autre partie des professionnels fait le choix du militantisme culinaire. « Je refuse de baisser en qualité. C’est l’âme de notre cuisine », insiste Mohamed, chef d’un restaurant casablancais du centre de Paris. Il a préféré augmenter légèrement les tarifs, tout en expliquant la situation à ses clients. « Contre toute attente, ils comprennent. Ils savent que l’huile d’olive est un produit précieux. »
Malgré la crise, le secteur ne cède pas. Plusieurs associations professionnelles demandent un soutien public ciblé, à l’image de ce qui existe pour certaines filières agricoles. D’autres espèrent un apaisement des marchés à moyen terme. Mais tous s’accordent sur une certitude : la cuisine orientale, profondément attachée à la Méditerranée, vit une période charnière.
Alors que les prix continuent de grimper, les restaurateurs s’accrochent à leur passion et à leur histoire. « On a traversé des guerres, des immigrations, des changements de quartiers… On tiendra encore », veut croire Aïcha. Si la semoule, l’huile d’olive et les amandes vacillent, l’identité culinaire, elle, reste bien vivante.