Quand la France se tire une balle dans le pied : l'affaire du sanglier qui lui a coûté le marché algérien du blé
Comment perd-on un marché de plusieurs millions de tonnes de blé par an ? En enchaînant les maladresses, les négligences et les erreurs diplomatiques. L'affaire du sanglier découvert en 2021 dans une cargaison de blé français au port d'Oran illustre parfaitement comment la France, par ses propres fautes, a offert sur un plateau son premier client céréalier à la Russie.
L'histoire mérite d'être racontée, car elle constitue un cas d'école de ce qu'il ne faut pas faire quand on veut préserver une relation commerciale stratégique. Pendant des décennies, l'Algérie a été le premier importateur mondial de blé français hors Union européenne, absorbant jusqu'à 5,4 millions de tonnes par an. Un marché en or, construit sur la proximité géographique et un cahier des charges algérien taillé sur mesure pour le blé hexagonal.
Puis tout s'est effondré. Et la France ne peut s'en prendre qu'à elle-même.
Le scandale qui a tout précipité
Le 14 juin 2021, au port d'Oran, les dockers déchargent le navire Lady Lilly en provenance de Rouen. Dans les 27 000 tonnes de blé tendre destinées aux coopératives de l'Ouest algérien, une découverte macabre : une carcasse de sanglier en décomposition avancée. Les images font le tour des réseaux sociaux algériens. L'indignation est immense.
Comment un sanglier mort peut-il se retrouver dans une cargaison de céréales ? Les silos sont normalement équipés de capteurs, de caméras, soumis à des contrôles stricts à chaque étape. Pour beaucoup d'Algériens, cet incident témoigne d'un mépris flagrant des fournisseurs français. Le ministère algérien de l'Agriculture confirme la découverte de deux cadavres d'animaux et engage des poursuites judiciaires contre le fournisseur.
Mais ce scandale n'est pas isolé. Quelques mois plus tôt, fin 2020, deux cargaisons de blé balte arrivées aux ports d'Alger et de Ghazaouet avaient été déclarées impropres à la consommation. Le directeur de l'Office algérien interprofessionnel des céréales (OAIC) avait été limogé, le président Tebboune avait ordonné une enquête. La confiance était déjà entamée.
L'affaire du sanglier a été la goutte de trop. L'Algérie a immédiatement modifié son cahier des charges, assouplissant le taux de grains endommagés de 0,2% à 0,5%. Une modification technique en apparence, mais qui ouvrait grand la porte au blé russe, moins cher et désormais conforme aux nouvelles normes.
Puis est venue l'erreur diplomatique fatale. En juillet 2024, Emmanuel Macron reconnaît la souveraineté marocaine sur le Sahara occidental. Pour l'Algérie, soutien historique du Front Polisario, c'est une trahison. Alger rappelle son ambassadeur et exclut officiellement la France des appels d'offres de l'OAIC.
Les chiffres sont sans appel. De 5,4 millions de tonnes en 2018, les exportations françaises vers l'Algérie sont tombées à moins d'un million en 2023. Sur le second semestre 2024, un seul navire de 31 500 tonnes a quitté les ports français pour l'Algérie. L'Algérie a totalement disparu de nos clients depuis deux ans, résume Xavier Cassedanne du Crédit Agricole.
La Russie, elle, s'est engouffrée dans la brèche avec un blé moins cher et un taux de protéines supérieur. Elle représente aujourd'hui 42% des importations céréalières nord-africaines. Ironie suprême : le Maroc est devenu en 2024 le premier client français en blé tendre.
Cette histoire devrait faire réfléchir. Un sanglier mort, des négligences sanitaires, une diplomatie maladroite : voilà comment la France a dilapidé en quelques années un héritage commercial construit sur des décennies. Un exemple à méditer pour tous ceux qui pensent que les marchés acquis le restent éternellement.