Livraisons d'armes à Israël : une chaîne opaque et criminelle
Par La rédactionPublié le
Alors que le génocide à Gaza franchit des seuils d'extermination inédits, avec plus de 50 000 morts palestiniens -majoritairement des femmes et des enfants-, la machine de guerre israélienne continue de fonctionner à plein régime. Derrière cette entreprise de destruction massive se cache un système complexe et opaque d’approvisionnement en armes, où les États-Unis jouent un rôle central, mais où l’Europe -malgré les déclarations vertueuses de certains dirigeants- reste un maillon essentiel.
Transporteurs maritimes, fabricants de composants électroniques, sous-traitants industriels : tous participent, dans une quasi-clandestinité, à alimenter le conflit, engrangeant des profits colossaux sur le sang des Palestiniens.
mediaterranee.com revient sur les mécanismes de cette complicité, les violations du droit international qu’elle implique, et les rares résistances qui émergent, notamment en Espagne et parmi les syndicats comme la CGT en France. Sur ces aspects, les informations ont pour source essentielle le quotidien l’Humanité dans son édition du 2 mai 2024.
Les États-Unis, principal fournisseur d’Israël : une dépendance stratégique
Les États-Unis sont, et de loin, le premier fournisseur d’armes d’Israël. Entre 2019 et 2023, ils ont représenté 69 % des importations militaires israéliennes, incluant des avions de combat F-35, des véhicules blindés, des missiles et des systèmes antiaériens comme le Dôme de fer. Cette relation remonte à la guerre du Kippour (1973), où Washington s’est engagé à maintenir un « avantage militaire qualitatif » (QME) pour Israël face à ses voisins arabes.
Cette aide militaire américaine n’a jamais cessé, ni même diminué. En août 2024, le Pentagone a approuvé des ventes d’armes pour 18,82 milliards de dollars, incluant 50 avions F-15IA, des obus de chars et des missiles air-air. Même après la décision de la Cour internationale de justice (CIJ) sur le risque de génocide à Gaza, les livraisons se poursuivent, souvent via des mécanismes contournant le contrôle du Congrès, comme les prélèvements sur les stocks prépositionnés en Israël.
L’Europe, maillon discret mais crucial : transporteurs et sous-traitants
Si les États-Unis dominent les livraisons directes, l’Europe joue un rôle clé dans la logistique et la fourniture de composants, souvent dissimulée derrière des chaînes d’approvisionnement opaques.
Les transporteurs maritimes : Maersk, un cas emblématique
Le géant danois Maersk, deuxième armateur mondial, est accusé d’acheminer des pièces militaires vers Israël. En 2024, des enquêtes ont révélé que ses navires transportaient des composants pour avions F-35, fabriqués par Lockheed Martin aux États-Unis, puis expédiés via l’Europe vers la base aérienne de Nevatim en Israël. Malgré les dénonciations (comme celles des dockers CGT à Fos-sur-Mer), Maersk nie toute violation, arguant que ses cargaisons sont destinées à des « pays partenaires » du programme F-35.
Les sous-traitants industriels : l’exemple irlandais et français
Plusieurs entreprises européennes fournissent des pièces critiques :
En Irlande, quatre sociétés (dont Novachem et Powell Electronics) livrent des adhésifs UV et des connecteurs à Elbit Systems, principal fournisseur de l’armée israélienne.
En France, des composants pour drones et missiles sont exportés vers Israël, malgré les dénégations officielles. En 2024, Disclose a révélé que la France avait livré 100 000 maillons de cartouches pour fusils-mitrailleurs Negev, utilisables à Gaza 7. De même, la société Exxelia Technologies a été mise en cause pour avoir fourni des capteurs retrouvés dans des missiles israéliens.
Violations du droit international : l’hypocrisie des États européens
Les livraisons d’armes à Israël violent plusieurs traités internationaux, dont :
Le Traité sur le commerce des armes (TCA, 2014) : son article 6 interdit les transferts d’armes si elles risquent d’être utilisées pour des crimes de guerre ou un génocide. Pourtant, l’Allemagne (30 % des importations israéliennes entre 2019-2023) et le Royaume-Uni (licences d’exportation valant 42 millions de livres en 2023) continuent leurs livraisons 1013.
La Position commune de l’UE (2008) : elle impose un embargo de facto sur les armes en cas de violations des droits humains. Or, seuls l’Espagne et l’Italie ont suspendu leurs ventes, tandis que la France maintient des exportations de composants dit « défensifs ».
L’Allemagne, malgré des pressions juridiques (notamment une plainte du Nicaragua à la CIJ pour complicité de génocide), n’a pas officiellement stoppé ses exportations, bien que leurs volumes aient chuté en 2024.
Résistances et exceptions : l’Espagne et les syndicats
Face à cette complicité généralisée, quelques acteurs se distinguent :
-L’Espagne : Madrid a non seulement suspendu ses livraisons d’armes, mais interdit aussi l’accès de ses ports aux navires transportant du matériel militaire vers Israël. Une mesure symbolique, mais concrète.
-Les syndicats : en France, la CGT des dockers a bloqué des cargaisons suspectes à Fos-sur-Mer. En Belgique, la région wallonne a gelé les licences d’exportation de munitions.
Ces initiatives restent marginales face à l’ampleur des flux, mais montrent que la mobilisation citoyenne peut perturber la chaîne d’approvisionnement.
Le cas français : entre déni et opacité
La France incarne l’hypocrisie européenne. Officiellement, Emmanuel Macron affirme que «la France ne livre pas d’armes à Israël». Pourtant : entre 2013 et 2022, 189,8 millions d’euros d’équipements militaires ont été exportés vers Israël. Des composants pour drones et missiles sont toujours livrés, sous couvert de «défense antiaérienne». Le rapport annuel au Parlement sur les exportations d’armes, obligatoire depuis 2002, est régulièrement retardé ou édulcoré.
« Le gouvernement français viole le TCA en continuant à exporter vers un État commettant un génocide. Ses déclarations ne sont pas suivies d’actes », résume Benoît Muracciole, expert en contrôle des armes, dans un entretien accordé au journal l’Humanité.
La poursuite des livraisons d’armes à Israël révèle tout compte fait une complicité structurelle des États occidentaux dans le génocide à Gaza. Derrière les déclarations de «préoccupation», les profits de l’industrie militaire et les calculs géopolitiques priment sur le droit international et les vies palestiniennes. Seules des mobilisations populaires et des actions juridiques ciblées (comme les plaintes contre Maersk ou les gouvernements européens) pourraient briser cette chaîne de la mort. Mais tant que les dirigeants fermeront les yeux -ou pire, encourageront ces transferts-, le massacre se poursuivra, avec la même impunité criminelle.