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Palestine. Rafah, ouverture sous contrôle : quand le passage devient l’autre nom de l’exil

Annoncée comme un « signe d’apaisement », la réouverture du point de passage de Rafah, entre Gaza et l’Égypte, révèle surtout l’ampleur d’une stratégie israélienne d’étouffement territorial. Sous couvert d’humanitaire, ce corridor pourrait servir de soupape à une guerre qui ne dit plus son nom : celle qui pousse les Gazaouis hors de leur terre, sans garantie de retour. L’Union européenne, appelée à superviser le dispositif, s’installe dans un rôle ambigu, entre caution technique et légitimation politique.

Depuis plusieurs jours, Tel-Aviv orchestre une communication millimétrée autour de la « future ouverture » de Rafah. Le passage, fermé depuis que l’armée israélienne en a pris le contrôle, serait à nouveau accessible « dans les prochains jours », sous surveillance de l’Égypte et d’une mission européenne. L’annonce se veut rassurante. Elle ne l’est pas. Car la question n’est pas quand Rafah rouvrira, mais pour qui — et à quel prix.

Pour les habitants de Gaza, ce point de passage représente autant une ligne de vie qu’une ligne de fracture. On parle « d’évacuation de blessés », de « déplacements nécessaires », de « sorties volontaire »”. Mais que vaut le volontariat quand les hôpitaux sont détruits, les réserves alimentaires épuisées et que les bombardements se poursuivent malgré le cessez-le-feu officiel ? Depuis cinquante jours, 357 Palestiniens ont été tués dans la bande de Gaza. Une trêve qui ne suspend pas la mort n’est pas une trêve ; c’est un répit administratif dans une guerre permanente.

Entre humanitaire et politique : une ouverture piégée

L’Union européenne, appelée à superviser ce passage frontalier, avance avec l’assurance technocratique de ceux qui se pensent « neutres ». Pourtant, rien n’est neutre à Rafah. Qui décidera des listes de sortie ? Les blessés graves auront-ils la priorité ? Les familles dispersées pourront-elles se retrouver ou seront-elles triées selon des critères opaques ? Et surtout : les personnes autorisées à quitter Gaza pourront-elles un jour y revenir ? Car c’est là que se joue l’essentiel. Un exil peut être temporaire. S’il devient définitif, il prend un autre nom dans la mémoire palestinienne : la Nakba.

De nombreuses voix, dans la presse internationale comme dans les ONG présentes sur place, craignent que cette ouverture serve de prélude à un transfert démographique. On ne déplace pas seulement des individus ; on déplace des histoires, des quartiers, des générations. La frontière devient alors l’outil le plus discret d’un projet politique : réduire Gaza sans avoir à l’annoncer. Israël dément vouloir pousser les habitants vers l’Égypte. Mais les faits — destructions systématiques, impossibilité du retour, pression humanitaire extrême — racontent autre chose.

Pendant ce temps, le sort des otages reste instrumentalisé par le gouvernement israélien pour justifier l’opacité totale de ses opérations. La remise récente de restes humains, non identifiés comme ceux des otages revendiqués, entretient un trouble macabre qui brouille les récits, tout en renforçant le climat de vengeance qui nourrit la politique sécuritaire de Tel-Aviv. Et les familles palestiniennes de disparus, elles, n’ont même pas de procédure pour signaler, identifier, pleurer.

Enfin, les milliers de déplacés internes, regroupés dans des camps surpeuplés du sud de Gaza, regardent Rafah avec une ambivalence tragique : la promesse d’un passage, mais aussi la menace d’être arrachés à jamais au peu qu’il leur reste. Certains témoignent d’une peur viscérale : que l’ouverture du passage soit le premier chapitre d’une expulsion lente, fragmentée, administrée par un pouvoir militaire qui maîtrise le calendrier, la logistique et le récit.

L’histoire méditerranéenne nous apprend que les frontières ne sont jamais de simples lignes : ce sont des instruments. Rafah n’échappe pas à la règle. Sa réouverture n’est pas le signe d’une paix à venir, mais le marqueur d’un rapport de force où Israël impose son tempo, son langage et ses conditions. L’UE, en acceptant de « superviser » ce dispositif, risque d’endosser malgré elle le rôle de notaire d’un exil dont personne ne veut prononcer le mot.

Alors, Rafah : sortie ou exil ? Peut-être faut-il poser la question autrement. À qui profite une frontière qui s’ouvre sans offrir de retour ? Et que restera-t-il de Gaza si la seule issue proposée à ses habitants est un couloir humanitaire qui ressemble de plus en plus à un corridor de disparition ?

 

 

 

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