l’institution désormais dirigée par le Portugais Antonio Guterres, sera-t-elle à la hauteur des défis ? (DR)

Les défis de l’ONU, confrontée aux guerres et au désordre climatique

Le Portugais Antonio Guterres prend les commandes d’une institution confrontée à de graves crises internationales, tandis que Donald Trump, nouveau président des États-Unis, conteste jusqu’à sa légitimité.

La question mérite sans doute plus que jamais d’être posée dans une conjoncture internationale des plus périlleuses, marquée par les guerres qui ravagent le Proche-Orient, par l’afflux massif de réfugiés vers le continent européen, par l’accélération du dérèglement climatique et… l’arrivée de Donald Trump à la tête de l’État américain… Quels sont les défis auxquels se trouvera confrontée l’ONU en 2017 ? L’institution, désormais dirigée par le Portugais Antonio Guterres, sera-t-elle à la hauteur ?

Le drame des réfugiés est, à n’en point douter, la question qui interpelle le plus l’ONU, tant la tragédie, déjà de grandes ampleurs, risque de s’amplifier. Les morts se comptent par milliers en Méditerranée – plus de 5 000 en 2016, «en moyenne 14 par jour, le pire bilan observé pour une année», selon William Spindler, porte-parole du Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR). «Cette situation rappelle aux États le besoin urgent d’accroître les voies d’admission des réfugiés comme la réinstallation, le parrainage privé, le regroupement familial et les programmes de bourses d’études, entre autres, afin qu’ils n’aient pas recours à des traversées périlleuses et à des passeurs», souhaite-t-il. Un prêche dans le désert, sachant que nombre de pays dressent des forteresses et que d’autres, à l’image de la France, peinent à assurer un accueil à la hauteur des possibilités et malgré les bonnes dispositions d’une partie de la société civile.

«C’est la plus grave crise de réfugiés depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale», constate l’historienne Chloé Maurel, spécialiste de l’ONU. Selon elle, il revient à celle-ci, qui en a l’expérience, de prendre en charge la situation des exilés. «Après la Seconde Guerre mondiale, l’institution avait créé l’Organisation internationale pour les réfugiés (OIR). Il faudrait que les États consentent à lui confier pleinement à nouveau cette tâche, avec pour missions de rapatrier les réfugiés et de les installer dans différents pays en leur assurant des conditions décentes», explique-t-elle. Alarmer et convaincre, là est sûrement le défi à relever pour l’ONU, dont le nouveau secrétaire général a justement dirigé le HCR pendant dix années (de 2005 à 2015). Un avantage probablement non négligeable sur le plan diplomatique.

Développement durable et lutte contre la pauvreté

L’accord de Paris sur le climat – approuvé par 195 délégations en décembre 2015 et qui est entré en vigueur le 4 novembre 2016 – met naturellement l’ONU sur le devant de la scène. Mais la machine mise au point pour lutter contre les dérèglements qui menacent la planète peine à démarrer. La COP22, qui s’est tenue à Marrakech (Maroc) en novembre 2016, n’a pas marqué l’avancée attendue. Elle a surtout laissé à la traîne les questions agricoles et de sécurité alimentaire, celles qui conditionnent le sort des populations pauvres, les plus exposées et les plus vulnérables face aux catastrophes naturelles. Les défis de l’ONU au plan du développement durable et de la lutte contre la pauvreté prennent ainsi une nouvelle ampleur. La FAO (Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture) estime que près de 100 millions de personnes supplémentaires pourraient basculer dans la pauvreté dans les quinze années à venir.

«Le progrès social et l’amélioration des conditions de vie des peuples constituent un engagement figurant dans la charte de 1945», rappelle l’historienne Chloé Maurel. «De nombreuses questions revêtent aujourd’hui un caractère transnational qui impose l’intervention de l’ONU, à l’image, par exemple de l’évasion fiscale», souligne-t-elle par ailleurs.

Au-delà de ces missions prioritaires, pointe l’inextricable question du retour à la paix dans diverses régions du monde, théâtres d’affrontements religieux, ethniques, territoriaux et de jeux d’influence géostratégiques des grandes puissances. Un enchevêtrement de guerres meurtrières face auquel l’ONU demeure impuissante. À l’heure où ces lignes sont écrites, la guerre de Syrie connaît le dénouement d’un fragile cessez-le-feu parrainé par la Russie et la Turquie, soutiens respectifs de Bachar Al Assad et des opposants à ce dernier. Simple chambre d’enregistrement de ce processus, les Nations unies auront seulement dénoncé le sort tragique des civils pris en étau dans les quartiers d’Alep Est entre les groupes islamistes armés et les troupes du régime à l’offensive.

Pour une force armée

L’adoption, le 23 décembre 2016, d’une résolution du Conseil de sécurité appelant à la fin de la colonisation israélienne en Palestine est un événement inédit, résultat de l’abstention inespérée des États-Unis. Là est le point nodal qui met en péril les défis de l’ONU en faveur de la paix : le sacro-saint droit de veto. «Un privilège accordé à cinq pays au lendemain de la dernière guerre mondiale et qui devait fonctionner comme un frein d’urgence afin d’éviter que l’Assemblée générale ne prenne de mauvaises décisions. Il est aujourd’hui complètement injustifié», commente Chloé Maurel. «Les pays détenteurs de ce droit ne représentent que 30 % de la population mondiale», précise-t-elle.
Discours illusoire, la mission onusienne pour la paix a pourtant toute sa raison d’être. «Dans le chapitre 7 de la charte, il est indiqué que l’institution sera dotée d’une force armée internationale capable d’être offensive et d’imposer la paix, au besoin par la force au nom de tous les États membres. Cela n’a jamais été appliqué en raison de la guerre froide qui a paralysé l’ONU. On a plutôt opté pour une force minimale, les casques bleus, sans véritable pouvoir», explique l’historienne.

Antonio Guterres promet une «réforme globale de la stratégie et des opérations» en faveur de la paix et de la sécurité. «Il est temps pour l’ONU de reconnaître ses insuffisances et de réformer la manière dont elle fonctionne», a-t-il martelé lors de son investiture. Le socialiste portugais a «plus de charisme et d’éloquence» que son prédécesseur, note l’historienne Chloé Maurel. Chose importante, car «l’ONU qui ne fait pas rien, dont les activités des seize agences sont infiniment importantes, manque de visibilité», note-t-elle. Mais encore faudra-t-il désormais compter avec le rôle nocif des États-Unis, sous la houlette de Donald Trump. «On peut craindre qu’il ne cherche à rendre l’ONU encore plus faible, à la marginaliser. Les États-Unis s’en sont toujours méfiés, ils ne veulent pas d’une institution forte.» Un obstacle de taille, sachant qu’ils contribuent à hauteur de 22% du budget de l’ONU et de 28% de celui des opérations de maintien de la paix.

Résister et mettre en échec la stratégie de neutralisation de l’ONU durant le mandat de Trump est peut-être le premier des défis d’Antonio Guterres.