"L’autre 8 Mai 45, Je me souviens". Une pièce nécessaire dans un contexte de révisionnisme et de déchainement haineux
Par N.TPublié le
Alors que la France s’apprête à commémorer le 80ᵉ anniversaire de la victoire contre le nazisme, une autre mémoire, longtemps étouffée, sera portée sur scène à Nanterre. L’autre 8 Mai 45, Je me souviens, une pièce de théâtre écrite par M’Hamed Kaki, plonge dans l’un des épisodes les plus sombres de la colonisation française : les massacres de Sétif, Guelma et Kherrata, perpétrés le 8 mai 1945 par l’armée française et les colons.
Dans un contexte politique marqué par une montée des discours révisionnistes et une offensive sans précédent de la droite et de l’extrême droite contre l’Algérie – entre instrumentalisation de l’histoire et relents nauséabonds de xénophobie – cette pièce arrive à point nommé. Elle rappelle que, tandis que l’Europe fêtait la fin de la guerre, des milliers d’Algériens étaient massacrés pour avoir osé réclamer l’indépendance.
Une histoire intime dans la grande Histoire
À travers le récit poignant de Nasséra, une jeune étudiante déterminée à recueillir le témoignage de son grand-père, la pièce explore les répercussions intergénérationnelles de la violence coloniale. Le vieil homme, témoin des événements de 1945, se confie enfin, brisant des années de silence.
De la révolte des Mokrani aux luttes anticoloniales du PPA, en passant par le code de l’indigénat et les massacres de 1945, le spectateur est plongé dans un récit à la fois intime et universel. La pièce met aussi en lumière le rôle des femmes, comme Laldja, mère de Bouzid Sahal, jeune scout assassiné pour avoir brandi le drapeau algérien interdit. À travers ses lettres, elle incarne la résistance d’un peuple fier, mais aussi son espoir d’une Algérie libre.
Un combat contre l’oubli et les falsifications
Plus qu’une simple reconstitution historique, L’autre 8 Mai 45 interroge la manière dont la mémoire coloniale est (ou n’est pas) transmise. Nasséra, en historienne familiale, se bat contre l’amnésie collective et l’hypocrisie d’une République qui célèbre la Libération tout en occultant ses propres crimes.
Cette pièce résonne particulièrement aujourd’hui, alors que certains politiques et intellectuels s’emploient à minimiser, voire nier, les violences coloniales. Entre les propos incendiaires sur l’"invasion migratoire", les tentatives de réhabiliter l’œuvre coloniale et les attaques répétées contre l’Algérie, la droite et l’extrême droite française alimentent un climat de haine et de révisionnisme.
Pourquoi cette pièce, pourquoi maintenant ?
Parce que le théâtre est un outil puissant pour susciter l’émotion, la réflexion et le débat. Parce que, face aux récits dominants qui cherchent à édulcorer le passé colonial, il est urgent de redonner la parole aux victimes.
L’autre 8 Mai 45 ne se contente pas de raconter une tragédie : elle pose des questions brûlantes. Comment la France assume-t-elle son histoire coloniale ? Pourquoi les promesses républicaines ont-elles si souvent été trahies ? Comment transmettre une mémoire douloureuse sans sombrer dans la rancœur ou l’oubli ?
En filigrane, la pièce rappelle une vérité trop souvent ignorée : les séquelles de la colonisation continuent de marquer les sociétés française et algérienne. Le racisme, les discriminations, les inégalités – tout cela plonge ses racines dans ce passé non assumé.
Un appel à la justice et à la dignité
Dans une époque où les discours de division se multiplient, L’autre 8 Mai 45 offre un contrepoint essentiel. Elle célèbre la résistance, la dignité et la lutte pour la liberté. Elle rappelle que l’histoire ne s’arrête pas aux manuels scolaires – elle vit dans les mémoires familiales, dans les combats quotidiens, dans les récits que l’on choisit de porter ou d’étouffer.
Jouée à Nanterre, ville symbole des luttes immigrées, cette pièce est un acte de résistance culturelle. Un rappel : tant que la France n’aura pas pleinement reconnu ses crimes coloniaux, le travail de mémoire restera nécessaire.
L’autre 8 Mai 45, Je me souviens – parce qu’un peuple qui oublie son passé est condamné à le revivre.
Théâtre 2 rue des anciennes mairies à Nanterre
7 mai 2025, 20h