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Hinaupoko Devèze, Miss France 2026 : sous la couronne, le silence des outre-mer

Ce samedi 6 décembre, Hinaupoko Devèze, une psychologue de 23 ans originaire de Tahiti, a été élue Miss France. Cette victoire s'inscrit dans une tendance marquante : pour la sixième fois, le titre suprême est remporté par une candidate d'outre-mer, succédant à une Miss Martinique. Sous les projecteurs du Zénith d'Amiens et devant des millions de téléspectateurs, l'élection semble célébrer, une fois de plus, la diversité rayonnante de la France. Pourtant, cet éclat télévisuel agit comme un puissant révélateur. Il illumine, le temps d'un show, des territoires que la République semble plus encline à contempler de loin qu'à écouter véritablement.

Le parcours d'Hinaupoko Devèze est, en lui-même, un récit riche qui dépasse la simple carte postale. Née à Papeete, elle a grandi entre la Polynésie, la Nouvelle-Calédonie et le sud de la France. Après des études de psychologie, un épuisement professionnel la pousse à un retour aux sources en Polynésie pour « renouer avec la culture de sa mère ». Cette biographie, tissée de va-et-vient identitaires et d'une réflexion sur la santé mentale – une cause qu'elle souhaite porter –, dépeint une jeunesse ultramarine aux réalités multiples. Sur la scène de Miss France, pourtant, cette épaisseur personnelle se trouve souvent réduite à un symbole : celui d'une beauté exotique et consensuelle. L'institution a certes évolué, mais elle reste une machine à produire de la visibilité sélective. Elle montre l'outre-mer dans sa splendeur naturelle et sa diversité humaine, mais en évacue soigneusement les tensions et les revendications. On y célèbre le folklore, jamais les grèves ; le paysage, jamais les inégalités structurelles qui font pourtant partie du quotidien.

Derrière la carte postale, des réalités sociales qui peinent à percer

Si on écoute les rapports des institutions et les voix sur place, la réalité contraste violemment avec l'image lisse véhiculée par le concours. Les outre-mer français souffrent d'inégalités profondes et systémiques par rapport à l'Hexagone. À Mayotte, par exemple, on compte environ 80 médecins pour 100 000 habitants, contre une moyenne nationale de près de 440. En Polynésie française, les séquelles sanitaires et environnementales des essais nucléaires constituent un dossier douloureux et toujours d'actualité, loin des clichés de plages immaculées. L'accès à l'éducation, au logement décent ou aux services publics de base reste un défi dans de nombreux territoires, alimentant un sentiment récurrent d'abandon et des crises sociales vives, comme celles qui ont régulièrement enflammé la Guadeloupe ou la Martinique ces dernières années.

Cette fracture n'est pas seulement économique ou sociale, elle est aussi narrative. Les outre-mer peinent à faire entendre leurs propres récits dans le débat national. Les médias métropolitains s'en emparent souvent de manière épisodique, en période de crise ou à l'occasion d'événements comme Miss France, perpétuant parfois involontairement une vision stéréotypée. Le traitement médiatique peut même tomber dans le piège des clichés, comme l'a récemment dénoncé le syndicat des journalistes de France Télévisions concernant l'usage de l'intelligence artificielle pour illustrer des sujets sur ces territoires, au lieu d'utiliser des images réelles et représentatives.

Ainsi, la couronne d'Hinaupoko Devèze repose sur un paradoxe poignant. D'un côté, elle consacre l'irrésistible attrait et la parfaite intégration symbolique des ultramarins dans le récit national. Elle est une source de légitime fierté et un modèle positif pour de nombreux jeunes. De l'autre, elle met en lumière l'asymétrie fondamentale de cette relation : l'outre-mer est admiré mais rarement compris, montré mais rarement entendu. La France métropolitaine se raconte une nation diverse et apaisée en couronnant ses « confettis » océaniens ou antillais, mais elle évacue soigneusement les questions qui dérangent – l'autonomie, les réparations historiques, la justice sociale au quotidien.

La nouvelle Miss France, par son parcours et son engagement, incarne peut-être une génération qui refuse ces silences. Pourtant, l'institution qu'elle représente ne lui laissera guère la place de porter un discours politique ou social complexe. Son année de règne sera très probablement un enchaînement d'apparitions officielles et de promotion d'une beauté sans aspérité. En cela, Miss France reste un baromètre involontaire de notre rapport aux outre-mer. Plus ces territoires sont applaudis sur scène, plus leur absence des radars médiatiques et politiques en dehors des crises apparaît vertigineuse. La victoire d'Hinaupoko Devèze est une joie, mais elle doit aussi être une interrogation : la France est-elle prête à échanger le regard parfois complaisant qu'elle porte sur ses territoires d'outre-mer pour une écoute véritable, quotidienne et respectueuse ? La réponse à cette question importe bien plus que le destin d'une couronne.

 

Photo: (DR)

 

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