Le chef de l’Etat russe a fait de la Syrie une vitrine de sa renaissance internationale... (DR)

Une puissance courtisée, ou le retour de l’influence russe

En inversant le cours de la guerre en Syrie, la Russie signe son grand retour sur la scène moyen-orientale, sur fond de retrait étatsunien.

Les 27 et 28 novembre dernier, le général libyen Khalifa Haftar, ancien dissident du système Kadhafi longtemps réfugié aux Etats-Unis, effectuait une visite de 48 heures à Moscou. Soutenu par l’Egypte du président Sissi, le chef des forces de l’Est du pays lié au Parlement de Tobrouk (reconnu comme légitime par la communauté internationale) n’a pas fait mystère sur l’objectif de sa visite : obtenir le soutien militaire de la Russie dans la guerre qu’il prétend mener contre les djihadistes de l’Etat islamique et les combattants liés à la confrérie des Frères musulmans.

Si certaines sources évoquent déjà la présence d’instructeurs russes sur le sol libyen, la démarche du général illustre le retour en force de la Russie dans le « grand Moyen-Orient », concept géographique forgé par les stratèges néoconservateurs, s’étendant du Maghreb à l’Afghanistan, en passant par la Turquie, le Machrek et la péninsule arabique.

Le contraste est saisissant : accusée de commettre des crimes de guerre à Alep et dans l’Est de l’Ukraine, handicapée par les sanctions économiques imposées par les Etats-Unis et l’Union européenne, la Russie n’a paradoxalement jamais été aussi courtisée. « Si vous cherchez un partenaire fiable, tournez-vous vers Vladimir Poutine », déclarait en substance il y a quelques mois Mahmoud Abbas, président de l’Autorité palestinienne.

Le chef de l’Etat russe a fait de la Syrie une vitrine de sa renaissance internationale, construite comme un contre-modèle de celui du concurrent étatsunien : les guerres menées ou soutenues par Washington en Irak, en Afghanistan ou en Libye, toujours au nom de la démocratie et des droits de l’homme, ont détruit toutes les structures étatiques et les socles de la société civile. Elles ont provoqué des centaines de milliers de morts, des millions de déplacés et de réfugiés, sans qu’aucune solution politique ne soit envisageable à court ou moyen terme. La séquence ouverte par les « printemps arabes » a vu quelques partenaires historiques de Washington dans la région (Ben Ali en Tunisie, Moubarak en Egypte) renversés par d’immenses soulèvements populaires, mais aussi avec le concours de « militants des droits de l’homme » formés et financés grâce à des programmes du Département d’Etat américain…

La reprise d’Alep, tournant stratégique…

En Syrie, Vladimir Poutine a opéré de manière radicalement différente : faisant fi de la nature brutale du régime de Bachar al-Assad, la Russie s’est porté garante de la stabilité de l’Etat quand les Etats-Unis ou la France encourageaient une partition de fait du pays entre le « réduit alaouite » de Lattaquié, un gouvernorat sunnite comprenant Idlib et Alep, voire un Kurdistan autonome à la frontière de la Turquie.

Lorsque Paris et Washington s’apprêtaient à frapper l’armée loyaliste en représailles d’une attaque chimique commise en banlieue de Damas au mois d’août 2013, Moscou a encouragé une solution diplomatique, tout en positionnant ses navires de guerre face à la côte syrienne, prêts à riposter. Quand les stratèges occidentaux lui prédisaient un enlisement militaire, Moscou est parvenu au contraire à inverser le cours de la guerre et à garantir la reprise actuelle d’Alep, véritable tournant stratégique d’un conflit qui a fait plus de 300.000 morts.

« Au niveau international », analyse Ekaterina Stepanova (1), chercheur à l’Institut d’économie mondiale et de relations internationales de Moscou (Imemo) « cette utilisation limitée de la force militaire visant à donner un nouveau souffle à une solution politique tout en évitant de justesse le bourbier, a offert un saisissant contraste avec les interventions massives et exagérément ambitieuses menées par les Américains dans la région, ainsi que par certaines puissances régionales comme l’Arabie Saoudite au Yémen. Même s’il ne s’agissait pas de faire la leçon à quiconque, la Russie a montré qu’elle avait tiré les enseignements des échecs d’autrui. »

(1)  Lire « La Russie a-t-elle une grande stratégie au Moyen-Orient », les cahiers de l’Ifri, été 2016

Soucre: Humanité Dimanche n° 539