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À Charm el-Cheikh, une paix américaine pour Gaza qui fait la part belle à Israël

Lundi 13 octobre, plus de vingt chefs d’État et de gouvernement se réunissent à Charm el-Cheikh, en Égypte, sous la présidence conjointe de Donald Trump et d’Abdel Fattah al-Sissi. Objectif affiché : « mettre fin à la guerre dans la bande de Gaza » et ouvrir une «nouvelle page de stabilité régionale». Mahmoud Abbas, président de l'Autorité palestinienne est présent, ainsi que Benjamin Netanyahou, mais non le Hamas

Ce sommet survient dans la foulée d’un accord inattendu entre Israël et le Hamas, négocié sur la base du « plan Trump » : la libération des derniers otages encore détenus par le mouvement islamiste en échange de celle de 250 prisonniers palestiniens constitue la première étape d’un scénario que le président américain entend piloter de bout en bout, reléguant l’ONU et le droit international au second plan.

Donald Trump ne cache pas sa volonté de garder la main sur la suite des événements : démilitarisation complète du Hamas, retrait progressif de l’armée israélienne, mise en place d’une force internationale temporaire, administration technocratique de l’enclave, reconstruction économique sous supervision américaine. Cette vision très structurée n’est pas négociée : elle est imposée.

Le Hamas agit via les médiateurs qataris et égyptiens. Israël, de son côté, a indiqué qu’aucun responsable ne participerait. Ce paradoxe – un sommet pour la paix sans les principaux acteurs du conflit – souligne à quel point la rencontre égyptienne est avant tout une opération diplomatique américaine visant à entériner une feuille de route élaborée à Washington.

L’analyse du politiste Jean-Paul Chagnollaud, publiée dans Le Monde du 13 octobre, éclaire cette logique : « Le plan Trump ignore toute référence au droit international et aux Nations unies. Il récuse également toute véritable participation des Palestiniens à la gouvernance et ne fait qu’évoquer un État palestinien en des termes si vagues que cela revient à l’enterrer. »

Le grand écart avec la « déclaration de New York »

Le 22 septembre, 142 États ont adopté à l’Assemblée générale des Nations unies la « déclaration de New York » sur le règlement pacifique de la question de la Palestine, portée notamment par la France. Ce texte rappelle les principes fondamentaux : solution à deux États, rôle central des Palestiniens dans la gouvernance, mandat onusien pour toute mission internationale, et référence explicite à la charte des Nations unies.

Le plan Trump repose en réalité sur une architecture politique et sécuritaire parallèle, qui contourne les cadres multilatéraux traditionnels. La question de la sécurité est confiée à une force internationale temporaire placée sous pilotage américain, sans mandat clair du Conseil de sécurité des Nations unies. La gouvernance de l’enclave, durant la période de transition, serait assurée par une administration technocratique et apolitique, étroitement encadrée par un « conseil de la paix » présidé par Donald Trump lui-même.

L’ancien premier ministre britannique Tony Blair pourrait y jouer un rôle central, dans une configuration qui évoque fortement une quasi-tutelle internationale, rappelant par certains aspects le mandat britannique de 1922 sur la Palestine. Enfin, le plan dissocie explicitement le sort de Gaza de celui de la Cisjordanie, laissée à une colonisation israélienne que Washington soutient sans réserve, entérinant ainsi une fragmentation territoriale lourde de conséquences pour toute perspective de règlement global.

Sur le plan économique, le projet évoque une « zone économique spéciale » à Gaza, conçue par des experts triés sur le volet (Jared Kushner en figure centrale), tandis que la « déclaration de New York » insiste sur le droit des Palestiniens à contrôler eux-mêmes leur développement.

Une paix sans État palestinien

Cette orientation a une conséquence politique majeure : elle évacue la question palestinienne en tant que telle. Ni la reconnaissance d’un État palestinien, ni la fin de la colonisation en Cisjordanie, ni le droit au retour ne figurent dans le plan américain. Donald Trump ne cherche pas à résoudre le conflit israélo-palestinien : il cherche à clore le dossier Gaza sur ses propres termes, en consolidant le statut quo territorial au bénéfice d’Israël.

Comme le souligne Jean-Paul Chagnollaud, « le plan américain veut créer un nouveau Gaza entièrement dédié à la construction d’une économie prospère, en séparant son destin de celui de la Cisjordanie ». Cette dissociation affaiblit encore la perspective d’une solution globale et pérenne.

La participation européenne au sommet illustre une autre faiblesse : les chefs d’État européens arrivent « en passagers » dans un train lancé par Washington. À l’exception de l’Espagne, qui plaide activement pour une reconnaissance pleine et entière de l’État palestinien, les grandes capitales — Paris, Berlin, Rome, Londres — se montrent prudentes, voire alignées..

Emmanuel Macron a ainsi tenu à « soutenir la mise en œuvre du plan Trump », selon l’Élysée, plutôt que de mettre en avant la « déclaration de New York » dont la France est pourtant l’un des initiateurs. Le Royaume-Uni parle d’un «tournant historique». L’Allemagne et l’Italie s’inscrivent dans une logique similaire. Cette posture, largement perçue comme une complicité avec Israël dans la conduite d’une guerre qui a fait des dizaines de milliers de morts civils et détruit l’enclave, entame gravement la crédibilité diplomatique européenne.

Le sommet de Charm el-Cheikh pourrait déboucher sur la signature d’un « document mettant fin à la guerre » et sur l’installation d’une force internationale. Mais la question centrale reste entière : cette paix sera-t-elle fondée sur le droit et la justice, ou sur le rapport de force et l’unilatéralisme américain ?

La démilitarisation forcée du Hamas sans cadre politique inclusif, le retrait israélien sans calendrier contraignant, la gouvernance imposée de l’extérieur et la marginalisation de la Cisjordanie risquent de préparer une instabilité durable, voire une nouvelle explosion à moyen terme. La communauté internationale se trouve une fois encore à la croisée des chemins.

 

 

 

 

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