À Gaza, un historien dans l’enfer : Jean-Pierre Filiu, témoin de l’indicible

Jean-Pierre Filiu, témoin de l’effacement d’un peuple

C’est un témoignage rare, précieux, vital. À l’heure où la bande de Gaza reste hermétiquement fermée aux journalistes étrangers, l’historien Jean-Pierre Filiu, spécialiste reconnu du Moyen-Orient, a passé un mois au cœur de l’enfer. De décembre à janvier, dans une zone constamment ravagée par les bombardements israéliens, il a vu, vécu, documenté. Et ce qu’il rapporte aujourd’hui dans Un historien à Gaza (Les Arènes), relayé lors de son passage sur franceinfo, fait voler en éclats les écrans de fumée dressés par une partie des médias français. Car si ce qu’il décrit est glaçant, c’est surtout sans équivoque.

Filiu parle de « destruction purement humaine, méthodique, systématique ». Il ne s’agit plus d’une guerre, mais d’un effacement programmé d’un territoire, d’un peuple, d’une histoire. 

Khan Younès, ville fondée au XIVe siècle, « carrefour commercial », est aujourd’hui un champ de ruines. Une « étendue de rien », un « paysage lunaire » où deux millions de personnes tentent de survivre. L’historien évoque une société palestinienne en « déliquescence », broyée par les bombes, défigurée par la misère, disloquée par le désespoir.

Et au-delà des chiffres, Filiu montre ce que les images officielles ne disent pas : des femmes mourant en couches dans des hôpitaux en ruine, une société qui se délite sous les frappes et les privations, l’extrême détresse des enfants affamés, un quotidien régi par l’arbitraire militaire, les ordres d’évacuation absurdes et contradictoires, les frappes erratiques, les drones omniprésents, le silence assourdissant de la communauté internationale. « Aller à droite, aller à gauche, ne pas bouger : à chaque fois, c’est une décision de vie ou de mort », dit-il.

« Discréditer les Nations unies », briser tout espoir 

Plus encore, il révèle un fait largement passé sous silence : la manière dont l’armée israélienne manipule même l’aide humanitaire, en laissant d’un côté passer quelques convois, tout en encourageant de l’autre des pillages armés, parfois soutenus par des frappes contre les convois eux-mêmes. Une stratégie qui vise, selon lui, à « discréditer les Nations unies » et à priver les Gazaouis de tout espoir de répit.

Ce que l’historien décrit, sans jamais prononcer le mot, ressemble pourtant en tous points à un génocide : extermination méthodique, déshumanisation, effondrement du tissu social, terreur organisée, isolement médiatique. Par son regard, Jean-Pierre Filiu expose la réalité que tant de médias français, notamment à droite et à l’extrême droite, s’acharnent à étouffer ou à relativiser. 

Ceux-là mêmes qui, jour après jour, déroulent le tapis rouge à l’armée israélienne, offrent leurs antennes à ses porte-paroles, quand ce n’est pas au Premier ministre Benjamin Netanyahu lui-même – criminel de guerre, interviewé sans vergogne sur LCI.

Un camouflet, un affront à la désinformation organisée

Dans ce contexte, le travail de Jean-Pierre Filiu est un camouflet. Un affront direct à cette désinformation organisée, à ces narrations tronquées, à cette complaisance indécente. La droite médiatique française se garde bien d’évoquer de façon significative cette parole, cette enquête de terrain, cet effort de vérité d’un intellectuel honnête.

Filiu, par son seul récit, ridiculise les pseudo-experts qui ânonnent à longueur de journée sur les plateaux les éléments de langage de Tsahal. Il les renvoie à leur hypocrisie, à leur alignement indéfectible sur les thèses israéliennes, à leur incapacité à affronter les faits. Il dévoile l’envers du discours dominant, où le droit humanitaire devient un souvenir lointain, et où la dignité des Palestiniens ne pèse plus rien face à la raison d’État israélienne.

Dans ce contexte, nul doute que le CRIF et les soutiens politiques français les plus zélés d’Israël doivent chercher fébrilement une parade. Mais que répondre à un témoignage qui, loin des studios climatisés, s’est nourri de cendres, de cris, de larmes, de vérités irréfutables ? L’historien, sans fracas ni slogans, met en lumière l’une des plus grandes tragédies de notre époque. Son travail n’est pas seulement un document, c’est une accusation. Une interpellation. Une preuve.

La vérité, un acte de résistance

Le travail de Jean-Pierre Filiu est un affront à ceux qui falsifient la réalité. Dans un pays où la désinformation est érigée en art de guerre, où les médias dominants préfèrent l’alignement idéologique à la vérité, ce témoignage est une arme. Il met en lumière non seulement les crimes israéliens, mais aussi la complicité silencieuse de ceux qui, en France, refusent de les nommer.

La voix de Jean-Pierre Filiu est un phare. Il faudrait la faire entendre partout. Parce que ce qu’il décrit à Gaza ne doit plus jamais être nié. Parce que la vérité, aujourd’hui, est un acte de résistance.