Entretien avec Samir Taïeb, leader du parti Al Massar (gauche) nommé ministre de l’Agriculture, de l’Eau et de la Pêche.

Tunisie : Pour le ministre Samir Taïeb, "l’union peut remettre le pays en marche"

Nommé ministre de l’Agriculture, de l’Eau et de la Pêche, Samir Taïeb, leader du parti Al Massar (gauche), explique les raisons de son engagement dans le nouveau gouvernement tunisien de Youssef Chahed. Il affirme que sa formation apportera un «soutien critique».

Le nouveau gouvernement tunisien est dit «d’union nationale», que cela signifie-t-il pour vous en tant que leader d’un parti de gauche en charge d’un portefeuille ?

Samir Taïeb. Il s’agit d’un gouvernement issu d’un long processus de dialogue national entre des organisations syndicales, comme l’Union générale des travailleurs tunisiens (UGTT), deux récipiendaires du prix Nobel de la paix en 2015 (1), le syndicat des agriculteurs... L’union s’entend comme une nécessité absolue face à la gravité de la situation. Les menaces sont lourdes, à commencer par le terrorisme. Souvenez-vous de l’opération dans la ville de Ben Guerdane (2). Au plan économique, s’agissant particulièrement du tourisme, la situation est désastreuse. Il faut s’unir pour éviter que le pays ne s’enfonce davantage.

Et parmi ces forces, il y a les islamistes d’Ennahdha. N’ont-ils pas la partie belle sous couvert de cette «union nationale» ?

S. T. Pas du tout… Le parti Ennahdha, qui dispose de 70 députés, n’a que trois ministères (en plus de trois secrétariats d’État – NDLR). Notre parti, Al Massar, qui n’a pu être représenté au Parlement en raison de jeux d’alliance et d’un vote supposé «utile», décroche un portefeuille parmi les plus importants : l’agriculture, l’eau et la pêche.

Quelles sont les urgences dans ce secteur clé ?

S. T. Notons d’abord que c’est le seul domaine en relative croissance, malgré l’insuffisance des aides publiques. Ceci étant, notre première préoccupation, celle qui exige des mesures urgentes, c’est la gestion de l’eau. Disons-le clairement, il est honteux qu’en 2016 il y ait encore en Tunisie des habitants qui souffrent de l’absence d’eau potable. C’est un problème qui nous déchire et qui risque de s’aggraver. C’est, fondamentalement, ce qui a motivé notre engagement dans ce nouvel exécutif. Il nous faut rapidement lever toutes les contraintes techniques et autres d’alimentation en eau de nombreuses localités ainsi que des terres agricoles.

Comment les militants de votre parti ont réagi à l’engagement dans ce gouvernement ?

S.T. Notre souci était de faire d’abord en sorte que la formation de l’exécutif émane réellement du chef du gouvernement. Ce qui n’était pas le cas jusque-là, notamment lors de la formation du précédent, qui a eu lieu sous des pressions diverses… Ceci dit, au plan politique, notre soutien restera dans tous les cas très critique. Mais nous appuierons toutes les mesures en faveur des catégories les plus démunies. Il est entendu, au sein de notre parti, que toutes les décisions de l’exécutif qui n’iront pas dans ce sens seront dénoncées haut et fort. Nous faisons par ailleurs confiance aux autres ministres progressistes. L’alliance de toutes les forces est dans tous les cas un passage obligé pour remettre le pays en marche.

(1) L’UGTT, l’organisation patronale Utica, l’Ordre national des avocats et la Ligue des droits de l’homme (LTDH), représentants des organisations du quartet tunisien pour le dialogue national, ont reçu le Nobel de la paix en 2015.

(2) L’armée et la police avaient été la cible des djihadistes de l’EI, le 7 mars 2016 à la frontière avec la Libye. L’objectif était d’ instaurer un émirat. 11 membres des forces de l’ordre ont été tués, ainsi que 7 civils et 36 djihadistes.