Jean-Luc Mélenchon était venu le 3 juillet au quartier de La Mosson, à Montpellier, dire tout le bien qu'il pensait de Mohamed Bouklit. (DR)

Mohamed Bouklit vide son sac après son départ du Front de Gauche de Jean-Luc Mélenchon

Obtenir 22% des suffrages au premier tour d'une élection sur le 9ème canton de l'Hérault en 2011. Puis 35%, au second tour, face à l'un des poids lourds locaux de ce scrutin, le socialiste André Vézinhet, président du Conseil général de l'Hérault. Le tout, sous une candidature citoyenne soutenue par le Front de Gauche, avant d'être un peu plus approché encore par Jean-Luc Mélenchon, suite à son appel national pour un Front de gauche des quartiers populaires lancé sur Mediapart, concernant l'avenir présidentiel de la question des banlieues. Et finalement être invité à rejoindre le Conseil national de campagne du Front de Gauche présidé par Pierre Laurent, ancien directeur de la rédaction de l'Humanité et actuel secrétaire national du PCF. C'est, en politique, ce que l'on pourrait appeler une success story... Voir la vidéo de France 3, suite au passage de Jean-Luc Mélenchon rendant hommage à l'action de Mohamed Bouklit, le 3 juillet 2011, à Montpellier :

Tout cela pour que Mohamed Bouklit doive finalement claquer la porte de ce mouvement politique, avec pertes et fracas. En vertu de deux grands motifs : une insuffisante prise en considération de la problématique des quartiers populaires et sa non-désignation comme candidat titulaire à l'élection législative, sur la 2ème circonscription de l'Hérault, où Mohamed Bouklit annonce se présenter, le 10 juin 2012, sous sa seule étiquette « citoyenne ». Tout cela, Mohamed Bouklit l'a fait, à grand éclat. Et il en a expliqué les raisons dans leurs grandes lignes, à l'occasion d'une tribune publiée sur Mediapart. Médiaterranée Languedoc-Roussillon lui a demandé de rentrer un peu plus dans les détails. Entretien...

A l'issue des cantonales, tout semblait aller bien entre vous et le Front de Gauche. Qu'est-ce qu'il s'est passé depuis ?

« La première chose, c'est que nous avons été confrontés à l'absence d'une véritable prise en compte de la problématique des quartiers populaires, ce qui était pourtant le fondement de notre appel national, auquel Jean-Luc Mélenchon avait répondu. La deuxième chose, c'est que nous avons été confrontés à des pratiques oligarchiques, alors que le Front de Gauche a été constitué précisément au départ pour accompagner des révolutions citoyennes contre les conceptions ou les pratiques oligarchiques qui sont au centre du système politico-médiatique dans sa globalité. Or, il se trouve que j'ai retrouvé, au Front de Gauche, le même type de pratiques. Je me suis retrouvé face à des réunions organisées en catimini, au milieu d'une logique d'appareils et, plus précisément, d'un match de ping-pong, avec, d'un côté, le Parti Communiste et, de l'autre, le Parti de Gauche. Ce qui ne permet pas de faire entendre d'autres voix : des voix syndicales, des voix citoyennes qui auraient pu permettre l'expression d'un véritable Front populaire.

Est-ce que vous pouvez nous en donner quelques exemples ?

Je vais vous donner quelques exemples extrêmement concrets. Comment se fait-il que la direction de la campagne nationale du Front de Gauche ne se limite qu'aux seuls partis politiques et que nous n'ayons pas des représentants des autres sensibilités politiques ? Ce n'est pas normal de ce point de vue-là ! Quand nous avons lancé, avant les élections cantonales, un Front de gauche des quartiers populaires (une sorte de plate-forme politique, dans laquelle il y avait des militants historiques du Front de Gauche et d'autres militants plutôt dans une dimension citoyenne, dont je suis une voix parmi tant d'autres), nous avions décidé, au sortir des cantonales, de lancer des assemblées consultatives, des assemblées populaires, avec la population, comme nous l'avions fait en juin dernier à Montpellier. Ces assemblées devaient permettre de relayer les paroles au niveau national et d'y apporter des réponses politiques concrètes. Mais tout le problème était de savoir comment ces idées, ces propositions, ces pistes de réflexions et ces colères du peuple, qui sont légitimes, avanceraient... Quand on parle d'un programme partagé qui constituerait le socle minimal d'une mobilisation politique, la question, c'est : comment parvient-on à utiliser l'intelligence du peuple pour alimenter ce programme partagé ? Actuellement, dans le cadre de la présidentielle, il n'y a pas de véritable remontée de la parole, lors des assemblées citoyennes qui étaient destinées à alimenter en propositions le programme du Front de Gauche. Il n'y a pas de synthèse qui viennent des assemblées citoyennes dans le pays. Je l'ai dit à de nombreuses reprises, notamment au conseil national du Front de Gauche : il faut que les assemblées citoyennes soient dans l'esprit de la révolution citoyenne et non pas seulement dans une lettre électoraliste qui fait que l'on ne se situe que dans l'élection présidentielle... Le Front de Gauche a eu la volonté de s'étendre à d'autres forces, notamment aux forces citoyennes et aux mouvements issus des quartiers populaires ou de l'immigration postcoloniale. Cette sensibilité dans laquelle je suis, doit être prise en compte de manière égalitaire. Cela n'a pas été le cas et je l'ai très clairement vu, tant au niveau des thématiques de campagne, qu'à celui de la question des investitures aux législatives, sur l'ensemble du territoire national. Nous verrons bien le trombinoscope des candidates et des candidats du Front de Gauche : nous verrons bien s'il est représentatif de l'ensemble des sensibilités du Front de gauche qui prétend à devenir un Front populaire. Ce sont ces questions-là que je pose en fond. Ce n'est pas simplement l'aspect programmatique : c'est tout le processus qui fait qu'à un moment, on est capable de faire un véritable Front populaire capable de proposer pour le pays un programme républicain en rupture avec le capitalisme.

Vous aviez exprimé en bonne et due forme votre volonté d'être désigné comme candidat titulaire aux élections législatives ?

Bien sûr ! Nous avions même fait une conférence de presse en septembre où avait été exprimée la volonté d'ouvrir la 2ème circonscription à la composante citoyenne du Front de Gauche des quartiers populaires. J'avais des soutiens et une légitimité pour être candidat. Mais après, il y a eu des batailles d'appareils, entre le Parti de Gauche et le Parti Communiste, avec les difficultés que l'on peut connaître à l'intérieur... Une guerre intestine, une guerre de chapelles entre le Parti de Gauche et le Parti Communiste, qui s'est conclue, après bien des atermoiements, par les désignations de René Revol (maire de Grabels FDG, Ndlr) sur la 2ème et de Michel Passet (adjoint au maire de Montpellier PCF, Ndlr) sur la 8ème. Au milieu de tout ça, il y a d'autres composantes, d'autres forces citoyennes, dont je ne suis, encore une fois, qu'une voix parmi tant d'autres, qui regardent ce matche de ping-pong sans comprendre... La réalité, c'est que les militantes et les militants du Front de Gauche sont, comme l'esprit du Front de Gauche, extraordinaires ! Le problème, ce ne sont pas les militants, mais les leaders qui doivent changer leur logiciel, leur manière de faire de la politique, en intégrant les réalités d'aujourd'hui. Je pense que le temps me donnera raison, à l'avenir, et que l'on ira dans ce sens-là... Mais aujourd'hui, force est de constater que quand on chasse le naturel, il revient au galop ! Et on retrouve un certain nombre de pratiques oligarchiques, clientélistes que paradoxalement, dans le verbe, on dénonce...

Vous n'avez pas supporté cette contradiction ?

Je reste simplement en cohérence avec une ligne qui fonde mon engagement politique depuis des années. Quand je vois que la sensibilité qui est la mienne n'est pas respectée - notamment au regard des luttes historiques de ce pays -, quand je vois que ces pratiques, ces valeurs, ne sont pas respectées, je considère qu'il y a rupture. Pour nous, le Front de Gauche devait exprimer tout le spectre de cette gauche radicale. Comme ce n'est pas le cas, je me présente de manière citoyenne et autonome sur la 2ème circonscription. Et cette sensibilité va s'exprimer à travers une floraison, partout en France, de plusieurs candidatures citoyennes dans les quartiers populaires, un an après le Printemps arabe. Ce Printemps des quartiers populaires sera une réponse extraordinaire contre l'abstention et le Front National, contre un Parti socialiste qui perd ses couleurs de gauche, et un message important à la gauche radicale, une gauche qui doit prendre en compte l'une de ses composantes ancrées dans les quartiers populaires. Je vais faire une campagne qui s'adresse à tous les exclus, à tous les démunis, à tous les citoyens qui ne se reconnaissent pas dans le système politique actuel, avec les partis politiques qui se renvoient la balle. Et je suis nourri depuis des années par des mouvements qui sont beaucoup plus proches de la population, qui se construisent de façon beaucoup plus transversales et moins pyramidales. Dans ses principes, le Front de Gauche devait être comme ça ! D'ailleurs, Jean-Luc Mélenchon disait ceci : « ici, il n'y a pas de caporalisation, il n'y a que des têtes dures ». La réalité, c'est qu'en pratique, on voit autre chose ! Professionnellement, j'ai fait de longues études en informatique et j'ai une thèse spécialisée en internet participatif. Aujourd'hui, je peux dire qu'internet est un vecteur extraordinaire pour aller dans le sens d'une véritable démocratisation, où chacune, chacun - le peuple, dans sa grande majorité -, avec les valeurs de la République, peut prendre sa part d'autorité et de responsabilité pour concourir au destin de son pays.

Que pensez-vous de la constitution de la nouvelle organisation politique qui sera créée d'ici une quinzaine de jours, avec comme base les quartiers populaires, et dont l'un des membres sera le rappeur Axiom, qui vient de publier « J'ai un rêve » aux Éditions Denoël, un livre en résonance avec la fondation imminente de ce mouvement ?

Toutes ses initiatives, toutes ses dynamiques participent du processus que je suis en train de vous décrire : aujourd'hui, nous sommes en train de vivre une recomposition de la manière de faire de la politique, une politique qui doit être beaucoup plus proche du citoyen. Il suffit de regarder l'histoire récente des partis politiques, avec en 2007, l'UDF qui est devenue le Modem, ou aujourd'hui, les Verts qui sont passés sur un mode plus transversal avec Europe Écologie : nous sommes dans une voie de recomposition des partis politiques qui seront, du coup, beaucoup plus proches des électeurs. Le Parti Socialiste l'a fait aussi avec les primaires, mais ce n'est pas suffisant encore. Aujourd'hui, chaque territoire, chaque histoire, chaque dynamique est en train de recomposer la dimension qu'il a avec la politique, la manière de s'impliquer, la manière de faire France. Je pense que ces initiatives sont extrêmement positives, dès lors qu'elles se font autour des valeurs communes qui sont les nôtres et dès lors qu'elles nous permettent d'aller dans le sens du rassemblement en terme de consensus. A partir du moment où on est dans un mode d'autonomie exclusive, ce n'est pas ma ligne. De la même façon que ce n'est pas ma ligne d'être dans l'ordre d'un parti satellitaire qui se retrouve autour d'un Parti Socialiste pour finalement dire « oui » tout le temps...

Vous pourriez vous inscrire dans ce nouveau mouvement politique des quartiers ?

Moi, je me situe plutôt dans le débat à gauche, au cœur de la gauche radicale. Et j'invite au rassemblement à partir du moment où il se fait sur des véritables bases idéologiques et égalitaires. Nous pensions, encore une fois, que la sensibilité qui était la nôtre pourrait être prise en compte dans le cadre du Front de Gauche, mais je continue et je continuerai à aller dans ce sens-là pour travailler à voir l'émergence d'un véritable Front populaire que j'appelle de mes vœux. Un Front populaire qui prendrait en compte tous les mouvements. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle Jean-Luc Mélenchon m'avait invité, compte tenu de mon histoire : j'ai été très tôt nourri par les mouvements d'éducation populaires, j'étais dans les mouvements lycéens, je suis passé par l'école de la République, j'ai également connu des mouvements altermondialistes, je connais très bien les associations de quartier et ensuite, je me suis engagé dans la voie politique que vous connaissez... Parce que je pense qu'il faut aller au rassemblement. Mais pas à un rassemblement qui s'obtient au prix de l'aliénation d'une sensibilité au profit d'une autre. Ce qu'il faut, c'est une véritable intelligence collective qui fasse un front commun, un front populaire. Je pense qu'on y arrivera. Il faut du temps au temps, mais ça se fera un jour, au prix des mobilisations, des luttes et des engagements... C'est une nouvelle façon de faire de la politique qui correspond à la génération que je représente ».

Recueilli par N.E

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