« L’autre 8 mai 1945 ». Colloque à Nanterre en présence de la 4ACG: mémoire, réparation et fraternité
Par La rédactionPublié le
La salle des congrès de Nanterre a accueilli samedi 3 mai 2025 le colloque «L’autre 8 mai 1945», consacré aux massacres occultés de Sétif, Guelma et Kherrata. L’évènement a réuni historiens, militants et descendants de victimes autour d’un impératif : briser le silence. Parmi les voix marquantes de cette journée, Gérard Lechantre, Stanislas Hutin et René Moreau, anciens appelés d’Algérie et membres de la 4ACG (Les Anciens Appelés d’Algérie et leurs Amis Contre la Guerre), accompagnés de Malika Fecih, membre du bureau de l'association. Ils ont rappelé avec force le devoir de mémoire et de réconciliation.
« Une pension sale, ensanglantée » : le refus de l’oubli
Leur témoignage a commencé par un retour sur leur jeunesse volée. « Nous avions une vingtaine d’années quand nous avons été appelés pour faire notre service militaire en Algérie. Une formalité, un devoir citoyen », racontent-ils. Mais très vite, l’illusion se brise. « Nous ne savions pas que nous allions faire la guerre. Ce mot n’a été que tardivement employé. » Pourtant, ils se retrouvent plongés dans une machine de violence coloniale : « Nous étions malgré nous intégrés dans une armée qui a tué, torturé, tyrannisé un peuple qui n’aspirait qu’à sa liberté. »
À leur retour en France, le traumatisme est indicible. « Il fallait vivre, fonder une famille, travailler, replonger dans la vraie vie, celle qui a du sens. » Pendant des décennies, ils ont enfoui « ces deux années cauchemardesques », jusqu’à ce qu’un courrier officiel vienne tout raviver : « Quarante ans plus tard, l’État nous attribue une pension de retraite pour nos services en Algérie. La douleur est ravivée, les démons sont libérés, les cris des torturés, les cadavres… Nous ne voulons pas de cette pension ! Elle est sale, ensanglantée ! »
La 4ACG : de la honte à l’action solidaire
Plutôt que de percevoir cette pension, ils choisissent de la transformer en outil de réparation. « Quatre anciens appelés ont une fabuleuse idée : fonder une association alimentée par ces pensions pour participer à des projets de reconstruction. » Ainsi naît la 4ACG, qui étend son action au-delà de l’Algérie, soutenant aussi « les populations qui souffrent de la guerre, comme la Palestine ».
Leur engagement est un acte de résistance contre l’amnésie d’État. « Nous retournons régulièrement en Algérie pour fraterniser avec le peuple et nos anciens adversaires. » Ils interviennent aussi dans les écoles, « pour éveiller la conscience des jeunes, les entraîner à réfléchir aux moyens de s’opposer à la guerre ».
Sétif, Guelma, Kherrata : le crime colonial impuni
Leur présence à ce colloque n’est pas un hasard. Les massacres du 8 mai 1945, où près de 40 000 Algériens furent tués par l’armée française, résonnent avec leur propre histoire. Comme l’a rappelé Olivier Le Cour Grandmaison, co-organisateur de l’événement, « ces crimes d’État restent absents des manuels scolaires ».
La journée a alterné entre analyses historiques et témoignages bouleversants. Lors de la première table ronde, « Que s’est-il passé le 8 mai 45 ? », les intervenants ont démonté les mécanismes de la répression coloniale. La seconde table ronde, sur « la reconnaissance et la justice réparatrice », a souligné l’urgence d’affronter ce passé.
Un moment poignant a été la lecture de la pièce « L’autre 8 mai 45, je me souviens » de M’hamed Kaki, interprétée par Abdelwaheb Sefsaf et Leila Khaly. Les mots des victimes, portés par les acteurs, ont rappelé que « la mémoire n’est pas seulement un regard en arrière, mais un pont vers l’avenir ».
« Construire une relation apaisée » : le combat continue
Pour les membres de la 4ACG, comme pour les organisateurs du colloque, le travail de mémoire est indissociable de la lutte pour la justice. Nasséra Zaïdi, coordinatrice du Collectif National pour la Reconnaissance des Crimes Coloniaux, l’a affirmé : « Ce travail d’éducation est essentiel pour un avenir commun. »
Les prochains rendez-vous – dont la pièce « 17 octobre 1961, je me souviens » – prolongeront ce nécessaire travail. Car, comme le disent si bien Gérard, Stanislas et René : « La paix ne se construit pas dans le silence, mais dans la vérité et la fraternité. »
Contact :
Collectif National pour la Reconnaissance des Crimes Coloniaux
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