car ces routes, elles, sont gratuites, très empruntées, et en piteux états... (DR)

France : et maintenant, la privatisation des nationales...

En 2005, le gouvernement Villepin l’avait fait. En 2014, le gouvernement Valls poursuit tranquillement la braderie. Cette fois, la privatisation touche les routes nationales. Le plan de relance autoroutier 2015-2020 doit encore être validé par la commission européenne. Mais son principe est posé : en échange d’investissement de 3,7 milliards d’euros sur les autoroutes et routes nationales, les sociétés autoroutières auront droit à un allongement de leur concession ; leur rente donc, de 2 à 3 ans, et de nouvelles concessions. D’autres projets avaient déjà été arbitrés par le gouvernement. Attention nouvelles privatisations et nouveau racket en vue !

On connait la rengaine : les caisses de l’Etat sont vides. Alors quand on a besoin de sou, on demande au privé. Il faut dire que depuis les privatisations en 2005-2006, pour le privé, le cash coule à flot. Vinci, Eiffage, Sanef, qui se partagent les trois quarts du réseau autoroutier, ont encaissé 8,8 milliards d’euros aux péages en 2012, pour un bénéfice net de 2 milliards. Autant d’argent dont l’Etat aurait eu besoin pour investir dans ses 9 745 km de routes nationales et 2 834 km d’autoroutes non concédées.

Car ces routes, elles, sont gratuites, très empruntées, et en piteux états. « Nos agents observent une dégradation continue : fissuration, nid de poules. Il n’y a plus de fauchage sur les bas côtés et le milieu. Il ne s’agit pas seulement de refaire les chaussés, mais de réinvestissement lourd », explique Nicolas Baille, secrétaire général de la Fédération nationale Equipement Environnement de la CGT.

Ce réseau secondaire est aussi plus accidentogène. La Route centre Europe Atlantique est parfois tristement surnommé la « route cimetière » (voir encadré). « L’Etat fait un chantage sur les collectivités départementales. Pour que les travaux se fassent, il faut les confier à un concessionnaire, leur dit l’Etat. Elles sont coincées », dénonce André Chassaigne, président du groupe Front de gauche à l’Assemblée nationale. Sécuriser ce réseau, le passer sur certaines portions en 2x2 voies est nécessaire. Mais le faire réaliser par le privé, absolument pas.

Le gouvernement socialiste n’a pas retenu la leçon du rapport de la Cour des comptes de l’été dernier sur les concessions autoroutières : « les conditions actuelles ne permettent pas de garantir que les intérêts des usagers et de l’Etat sont suffisamment pris en compte », assénait-elle. Mais qu’importe, avec les mêmes, on refait affaire. D’abord le gouvernement a déjà arbitré plusieurs dossiers, prolongeant des privatisations de routes décidés sous la droite, comme la RCEA, la RN 126 Castres Toulouse, la RN 20…. Et le 15 janvier dernier, le cabinet du ministère des transports, a reçu les syndicats pour leur expliquer ce qu’allait être ce nouveau plan de relance autouroutier 2015-2020.

Arrangements entre amis

Et celui-ci ressemble fort à un petit arrangement entre amis. D’un côté, les sociétés autoroutières lâcheront 3,7 milliards d’euros de travaux : 1,2 milliards sur le réseau routier non concédé, et 2,5 milliards d’euros sur les autoroutes à péage. En échange, le gouvernement leur accorde un allongement des concessions de 2 à 3 ans. En clair, alors que leurs concessions devaient s’achever entre 2029 et 2032, les grands groupes s’assurent 6 milliards en plus sur trois ans. Mais ce n’est pas tout : elles récupèrent des nouvelles portions par « adossement ».

Derrière ces « adossements », se cachent des privatisations. Certes les projets sont pour l’instant assez limités. En tout 23, une centaine de kilomètres par petits bouts, des tronçons de 5-10 ou 20 kilomètres sur les routes et autoroutes. « La liste n’est pas encore officielle. Mais ce sont essentiellement des opérations de contournements de ville, d’élargissements pour fluidifier le trafic, qu’on qualifie d’utiles », rassure-t-on au secrétariat d’Etat au Transport.

Mais c’est la braderie du patrimoine national qui continue. Depuis l’annonce du plan, la CGT, qui a lancé une pétition « non aux privatisations », bataille ferme. Pour alerter les citoyens avant les Européennes, elle lance une semaine de mobilisation du 13 au 16 mai. Au sein des Directions interdépatementales de la route (DIR),  73 agents de l’Etat sont menacés d’être transférés à ces sociétés ou dans d’autres services.

Pour la CGT, la menace pour l’usager est la création de nouveaux péages. Le gouvernement s’en défend. « Ils nous assurent que ce ne sera pas automatique. Mais on sait que le privé ne le fait pas gracieusement. Nous sommes convaincus que ce sera payant sous une forme ou un autre : un péage ou des augmentations à d’autres péages », explique Nicolas Baille. Pour preuve : chaque investissement sur les autoroutes est compensé par une hausse des tarifs aux péages.  

Payer 6,30 euros pour 104 km...

Au final, le citoyen paiera deux fois. « Il a déjà payé ces routes avec ses impôts, il va repayer aux péages. On introduit une inégalité. Ceux qui ont les moyens auront des réseaux de haut niveau fluides, les autres, un réseau dégradé et embouteillé », dénonce-t-il.  Le principe de contrepartie effective aux péages est au passage écorné. Car sur certaines portions, il n’y a plus d’itinéraire de substitution. Par exemple la RN 10 gratuite, rebaptisée A63 dans les Landes. L’usager devra payer 6,30 euros pour 104 km ou se retrouve condamné à faire un détour de 80 km.

Comment alors résoudre l’équation ? « Pour mettre en œuvre une politique de développement des infrastructures de transport, il faut des financement. Or le gouvernement choisit de faire appel à des fonds privés qui vont faire des profits sur le dos de nos investissement s et sur la masse des usagers », analyse André Chassaigne. Pour retrouver cette maitrise publique, il faut donc renationaliser. C’est le sens de la proposition de loi des sénateurs communistes qui sera examinée le 19 juin au Sénat. 

Dans l’immédiat, c’est peut être ironiquement la  commission européenne, chantre du libéralisme, qui va faire capoter le projet. En ne mettant pas en place d’appels d’offres pour ces nouvelles concessions, le gouvernement contrevient aux règles de la concurrence. La commission doit se prononcer à l’été. En off, des conseillers s’avouent un peu inquiets...

Source: L'Humanité Dimanche