Anne-Yvonne Le Dain et Laurent Marcangeli, en séance de travail parlementaire sur le cannabis et les stupéfiants. (DR)

Stupéfiants : la députée Anne-Yvonne Le Dain contre la prohibition du cannabis !

Dans un "rapport sur l'évaluation de la lutte contre l'usage de substances illicites", la député de l'Hérault Anne-Yvonne Le Dain (PS) propose notamment de ''légaliser l’usage individuel du cannabis dans l’espace privé et pour les personnes majeures'', en ''institu[ant] une offre réglementée du produit sous le contrôle de l’État''.

« On est face à une interdiction qui n'empêche rien... Le nombre de consommateurs explose. On est face à un fait. Le haschisch est dangereux, c'est une réalité qui devient malheureusement une banalité. Il faut la contrôler et, avec la prohibition, on n'y arrive pas. Mon opinion est donc un peu ... décapante. Pour faire avancer. L'omerta actuelle, y compris en direction des jeunes, ne peut plus durer. » Ce point de vue diffusé hier par Anne-Yvonne Le Dain sur son compte Facebook, résume bien, la position que tient depuis la député PS rapportrice, au côté du député de la Corse du Sud Laurent Marcangeli (UMP) d'un rapport sur l'évaluation de la lutte contre l'usage de substances illicites.

Un rapport stupéfiant

Dans ce rapport que Médiaterranée s'est procuré, il est clairement mis en évidence que « la politique de prohibition adoptée par la France depuis 1970 n'a pas empêché le développement de l'usage de substances illicites ». En effet, entre 1990 et 2010, le nombre d’interpellations liées au cannabis est passé de 17 736 à 122 439, soit une augmentation de 590,3%, comme le montre ce graphique d'OSIRIS (OCRTIS), intégré au rapport :

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« Depuis la loi de 1970 [sur les stupéfiants], les interpellations pour usage-revente et trafic de drogues illicites ont été multipliées par 34, passant de 648 procédures en 1971 à 21 894 en 2010 », note également l'étude, soulignant qu'« elles ont toutefois progressé deux fois moins rapidement que les interpellations pour usage simple », en marge de ce deuxième graphique d'OSIRIS (OCRTIS) :

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Constat unanime des deux rapporteurs parlementaires, au vu de ces courbes encore aggravées en 2013 avec près de 200 000 interpellations liées aux stupéfiants :

« Les rapporteurs relèvent que les interpellations se sont drastiquement accrues, ce qui témoigne soit d’une augmentation très significative de l’activité policière (liée aussi aux consignes venues de la hiérarchie), soit d’une augmentation tout aussi significative des usages de drogue, soit des deux.

Si certains observateurs estiment quant à eux que ces interpellations ne représentent guère que 3 % des consommateurs des substances illicites, qu’on évalue autour de 4,5 millions de personnes, et s’interrogent sur les caractéristiques des populations ciblées par les policiers ou les gendarmes, il n’en reste pas moins que cette délinquance de masse encombre les forces de sécurité et les juridictions d’un flux sans cesse croissant. »

Ce rapport a été élaboré avec l'expertise de 67 personnes (médecins, travailleurs sociaux, sociologues, policiers, magistrats, juristes,...) entendues au fil de 28 auditions et tables rondes, des rencontres instructives auxquelles se sont ajoutées un séjour aux Pays-Bas ui autorisent la vente et la possession de cannabis dans des normes très réglementées, la visite de trois institutions parisienne : la préfecture de police de Paris, le CSAPA (Centre de soins, d’accompagnement et de prévention en addictologie) et le CAARUD (Centre d’accueil et d’accompagnement à la réduction des risques pour usagers de drogues).

Une question de santé publique

Nous ne pouvons pas rentrer ici dans tous les détails de la centaine de pages de ce rapport, soulignons seulement ici que même si les deux rapporteurs parlementaires ne se sont pas entendus sur la nécessité d'une avancée légaliste en matière de cannabis, et même si cette proposition a été écartée d'un revers de main ce matin sur les ondes de RMC, par Marisol Touraine, la ministre de la Santé, Anne-Yvonne Le Dain a décidé de poursuivre avec force et respect, l'engagement de cette prise de position au niveau de l'assemblée nationale. Parce que Docteur en Sciences de la Terre et Ingénieur au Centre agronome au CNRS de Marseille, Anne-Yvonne Le Dain ne peut que considérer, à l'issue de la réalisation de ce rapport, qu'il y a bien là un évident enjeu majeur de santé publique, économique, sociale et morale, comme elle l'a défendu hier matin sur Europe 1 :


Dépénaliser le cannabis ? par Europe1fr

Reste qu'au delà de leurs divergences dans ce rapport, notamment sur la question de l'encadrement étatique du cannabis, les députés Anne-Yvonne Le Dain et Laurent Marcangeli se sont accordés sur 11 propositions communes qui suivront elles-aussi leur cours parlementaire. Les voici...

Stupéfiants : les 11 propositions communes des députés Anne-Yvonne Le Dain et Laurent Marcangeli 

Proposition n°1 : rationaliser les programmes de prévention délivrés par la police et la gendarmerie nationales :

–  regrouper la formation des policiers formateurs anti drogues (PFAD) et des gendarmes formateurs relais anti drogues (FRAD) à l’Institut de formation de la police nationale ;

–  équilibrer, sous le contrôle de la Mildeca, les interventions des PFAD et des FRAD sur l’ensemble du territoire national afin de délivrer une information à tous les élèves et d’éviter que certains élèves les voient chaque année et d’autres jamais.
 

Proposition n°2 : améliorer les outils de suivi épidémiologique :

–  augmenter la fréquence des enquêtes et en assurer une publicité régulière auprès des professionnels ;

–  les compléter par des enquêtes longitudinales de suivi de cohortes sur longue durée.
 

Proposition n°3 : lutter contre les nouvelles drogues de synthèse :

– développer et accélérer les interdictions des nouvelles drogues de synthèse par familles de molécules ;

–  renforcer les outils de suivi du trafic sur internet et développer les réponses pénales correspondantes.
 

Proposition n°4 : réexaminer la procédure et le contenu des programmes de prévention :

– recenser l’ensemble des interventions de prévention conduites en milieu scolaire ;

–  mettre en place une évaluation scientifique des programmes de

prévention en milieu scolaire ;

– inscrire et appliquer l’obligation d’information des élèves dans les programmes scolaires et les emplois du temps pour l’enseignement secondaire et confier cette mission au Centre national des œuvres universitaires et scolaires (CNOUS) pour l’enseignement supérieur ;

–  renforcer les moyens de la commission interministérielle de prévention des conduites addictives (CIPCA) ;

–  finaliser l’attestation de formation à la prévention des conduites addictives ;

–  généraliser les appels à projets communs entre la Mildeca et les agences régionales de santé.
 

Proposition n°5 : développer les techniques de prévention qui ont fait leurs preuves :

– diffuser les programmes de prévention les plus efficaces comme le développement des compétences psychosociales et la prévention par les pairs ;

– généraliser la formation des infirmières scolaires au repérage et à l’intervention précoce ;

– identifier un adulte référent formé dans chaque établissement.
 

Proposition n°6 : augmenter la fréquence et renforcer l’efficacité des campagnes de prévention en privilégiant les outils ciblés sur internet, de préférence aux médias traditionnels, plus coûteux et moins sélectifs.
 

Proposition n°7 : approfondir la formation initiale et continue en addictologie :

– renforcer l’enseignement de l’addictologie dans les deux premiers cycles des études de médecine et de pharmacie ;

– maintenir une formation qualifiante en addictologie lors de la réforme du troisième cycle ;

– favoriser la validation des acquis de l’expérience en addictologie.
 

Proposition n°8 : répondre au besoin de proximité et de diversité dans l’offre de soins aux usagers de drogue :

– renforcer l’accessibilité géographique des centres d’accueil et d’accompagnement à la réduction des risques pour usagers de drogue (CAARUD) et des centres de soins, d’accompagnement et de prévention en addictologie (CSAPA) par un maillage territorial suffisant et explicite ;

– envisager des solutions alternatives pour atteindre les territoires isolés (absorption des compétences des CAARUD par un CSAPA, envoi de matériel de réduction des risques par voie postale) ;

– accroître l’offre de soins résidentiels.
 

Proposition n°9 : préciser le positionnement des acteurs de l’addictologie dans le parcours de soins et améliorer la coordination de leurs actions :

– favoriser le développement des « réseaux addictions » et organiser des parcours de soins sous la responsabilité des agences régionales de la santé (ARS) ;

– améliorer la visibilité et le rôle des centres de soins, d’accompagnement et de prévention en addictologie (CSAPA) référents en milieu pénitentiaire.

 

Proposition n°10 : renforcer le contrôle des traitements de substitution aux opiacés :

– mettre en place la prescription électronique (e-prescription) ;

– renforcer les ordonnances sécurisées en conditionnant la délivrance du traitement à la désignation de l’officine de pharmacie.

 

Proposition n° 11 : développer les programmes d’échanges de seringues :

– instaurer la gratuité des kits stéribox ;

– expérimenter les programmes d’échanges de seringues en milieu pénitentiaire ;

– inciter les pharmaciens à recueillir les seringues usagées.